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L'AIR DU TEMPS

le Progrès du mercredi 16 décembre 2015

 

 

 

 

TERRORISME - Un mois après les attentats de Paris. La France en première ligne face à la radicalisation. En Syrie et en Irak, les Français constituent le plus fort contingent de djihadistes d'un pays européen. Pourquoi et comment autant de jeunes se radicalisent ? Quelques explications.

 

 

 

Omar Ismaël Mostefaï, Samy Amimour ou Foued Mohamed-Aggad. Pour trois des terroristes des attentats du 13 novembre à Paris, la radicalisation s'est effectuée dans notre pays, avant un passage dans les rangs de Daech. On recense aujourd'hui près de 2000 Français impliqués dans les filières djihadistes. Alors que le gouvernement tente de trouver des parades à la radicalisation, que les rapports parlementaires se multiplient, le phénomène ne cette de croître.

 

 

 

 

Quels profils ?

 

Le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI) de l'anthropologue Dounia Bouzar dressait le profil du candidat au djihad : des jeunes issus de classes moyennes (67 %) plutôt que de milieux populaires (16 %), âgés de 15 à 21 ans (63 %) non issus de familles musulmanes très pratiquantes.

 

 

 

Problème : cette étude se fonde sur les seuls signalements effectués par les familles elles-mêmes. Par ailleurs, le constat du CPDSI rompt avec le cliché du jeune homme de banlieue, parfois ex-délinquant, issu de l'immigration. Or à ce jour, comme le soulignait fin novembre le sociologue franco-iranien Farhad Kohsrokhavar, "l'écrasante majorité des auteurs d'attentats islamistes en France correspondent plutôt à ce profil".

 

 

 

Marc Trévidic, juge anti-terroriste durant 15 ans, estime, lui, que la religion est un "moteur" pour seulement 10 % d'entre eux, les 90 % restant se radicalisant pour des "motifs personnels" : pour l'aventure, pour se venger d'une France qui les rejette, ou parce qu'ils ne trouvent pas leur place dans la société. "C'est ce qui fait la force de ce mouvement", pense le magistrat.

 

 

 

 

Quels lieux, moyens ?

 

Même si quelques mosquées salafistes ont été fermées en France à la faveur de l'état d'urgence, "le rôle des mosquées serait très effacé dans les nouvelles formes de djihadisme", selon Farhad Kohsrokhavar. Avec internet, la "radicalisation en chambre", gage de discrétion, semble privilégiée. Le CPDSI, comme Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, jugent que 90 % des cas de radicalisation ont un lien avec l'internet. Cela n'exclut pas que cette bascule s'exerce entre bande de copains, ou en lien avec des jeunes déjà partis pour le djihad. Enfin, la prison joue elle aussi un rôle majeur dans cette contagion.

 

 

 

 

 

Quels discours, stratégie ?

 

Parmi tous les profils alarmants, les spécialistes ont noté que "la radicalisation cultuelle" s'accompagnait le plus souvent d'une radicalité politique. Ainsi, Patrick Amoyel, psychanalyste, affirmait dernièrement sur Europe 1 que ces jeunes fanatisés faisaient référence à cinq idéologies : "Les discours antisémite et complotiste, le communautarisme, l'identitarisme et le victimisme".

 

 

 

Autant dire que les motivations sont multiples, le processus d'embrigadement complexe, et la pratique différente de celles des aînés d'Al-Qaïda. Ces nouvelles méthodes correspondent en tout cas aux idées véhiculées par Abou Mousab al-Souri, théoricien du "Troisième djihad". Son "Appel à la résistance islamique mondiale", publié en décembre 2004 sur internet est devenu le livre de chevet des apprentis djihadistes et aurait inspiré Mohamed Merah, Medhi Nemmouche, Amedy Coulibaly ou les frères Tsarnaev (Boston).

 

 

 

Un djihad horizontal, pour semer le chaos en Occident et alimenté par de petites cellules indépendantes, qui repose sur l'endoctrinement via les réseaux sociaux et l'auto-radicalisation. Xavier Frère

 

 

 

 

"Le risque provient de personnes qui sont nées ou qui ont grandi parmi nous et qui, au terme d'un processus de radicalisation, tombent dans le fanatisme et la violence armée. Ce processus peut prendre diverses formes sur le web et les réseaux sociaux". Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, le 12 novembre, veille des attentats

 

 

 

 

 

Gilles Kepel, chercheur, publie aujourd'hui "Terreur dans l'Hexagone". Genèse du djihad français (Ed. Gallimard)

 

 

 

 

"L'objectif de Daech, c'est de créer un climat de guerre civile en France"

 

 

 

 

 

Comment expliquer l'existence d'un djihad français ?

 

"La France est dans une ère "rétro-coloniale", dans une sorte de déni qu'elle est aussi l'héritière de son empire colonial. Les sociétés ont continué à communiquer, avec une très importante immigration, et deux tendances dans la troisième génération : d'un côté une intégration politique, et des centaines de candidats aux élections, de l'autre, des jeunes en rupture complète avec les valeurs de la société.

 

 

 

 

Ils se construisent une sorte d'avenir radieux islamiste qui les pousse à redresser les torts universels en partant faire le djihad en Syrie, puis à revenir dans l'Hexagone fomenter une guerre civile. C'est aggravé par le fait que la France, seul pays européen dont l'économie ne redémarre pas, est de moins en moins inclusive : cela donne à la fois des communautés closes salafistes, qui peuvent générer une dérive djihadiste, et un vote massif pour le Front national. A cela s'ajoute enfin une élite politique de plus en plus divorcée d'avec la société".

 

 

 

 

 

Comment expliquer le nombre important de convertis parmi ces djihadistes ?

 

"Ils sont à la recherche d'une utopie alternative, après l'extinction des utopies gauchistes. Mais il ne faut pas minimiser le contenu islamique : il y a une force de la conviction religieuse qui est portée par des décennies de prédication salafiste d'origine saoudienne. Et parmi les premières victimes de ce djihadisme, il y a les musulmans "apostats", considérés comme traîtres car ils jouent le jeu de la République. Ils représentent pour eux le plus grand danger face à leur logique de rupture".

 

 

 

 

 

Ces évolutions françaises rejoignent un changement dans le djihad, d'Al-Qaïda à Daech...

 

"Al-Qaïda était un djihad pyramidal, avec au sommet Ben Laden qui envoyait le 11  septembre 2001 en Amérique des non-Américains commettre un acte spectaculaire... Mais il a échoué, car il n'a pas réussi à mobiliser les masses musulmanes. La nouvelle génération du djihad commence avec la mise en ligne en 2005 d'un "Appel à la résistance islamique mondiale", écrit par un ingénieur syrien qui a fait des études en France, Abu Musab Al-Suri. Il prône un djihad de réseau, par le bas, et il vise l'Europe, ventre mou de l'Occident, en utilisant des jeunes musulmans mal intégrés, pour déclencher des actions violentes qui provoqueront une sur-réaction de la société et permettront aux plus radicaux de prendre le pouvoir sur les musulmans. Il a aussi l'idée de construire un territoire pour former ces djihadistes, une sorte de "Sunnistan" à cheval sur l'Irak et la Syrie".

 

 

 

 

L'objectif de Daech, c'est de monter les Français les uns contre les autres ?

 

"Oui, de créer un climat de guerre civile. Mais si en janvier, malgré l'immense manifestation du 11 janvier, le slogan "#jesuischarlie" a été contesté, il y a eu très peu de voix en novembre pour trouver des excuses aux auteurs du massacre. Et il existe une économie politique du terrorisme : les attentats doivent mobiliser, leur répétition suit la loi des rendements décroissants, avec toujours moins de réaction".

 

 

 

 

 

Le meilleur vaccin contre le "djihad français", dites-vous, c'est l'instruction publique...

 

"Les réseaux sociaux, les vidéos et le tweet ont désinstruit la jeunesse, devenue sensible à ce type de propagande. Et quand je suis allé à Lunel (Hérault, sud), sacrée "capital du djihad français" en 2014, le seul endroit non-clivé, où les gens donnaient l'impression d'être heureux ensemble, c'était le lycée. On a beaucoup désespéré de notre éducation nationale et de notre université, méprisées par les acteurs politiques, mais je crois que les ressources sont là". Propos recueillis par Francis Brochet

 



16/12/2015
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