CRISE LIBYENNE
Franceinfo - le lundi 28 juin 2021
Russes, Tchadiens, Soudanais ou Syriens... Ces mercenaires surarmés opérant en Libye
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Franceinfo - le mardi 19 mai 2020
Libye : nouveau revers pour Haftar qui perd une base aérienne stratégique
Une nouvelle fois la couverture aérienne de la Turquie semble avoir apporté un avantage essentiel aux forces du GNA, le gouvernement de Tripoli
Les forces armées du gouvernement de Tripoli reconnu par l'ONU ont repris le 18 mai 2020 la base aérienne d'Al-Watiya tenue depuis 2014 par les hommes du maréchal Haftar. (MAHMUD TURKIA / AFP)
Cette fois, l'offensive des troupes du maréchal Haftar contre Tripoli semble avoir définitivement échoué. Le leader de l'Est libyen vient de subir un nouveau revers en perdant Al-Watiya, une base aérienne jugée stratégique au sud de la capitale.
C'est une vieille base aérienne construite par les Américains en 1942 pour lutter contre les forces allemandes, à 140 km au sud-ouest de Tripoli. Un immense complexe de 50 km², composé de hangars, de taxiways et de pistes. D'ici, les avions peuvent atteindre la Tunisie ou l'Algérie si nécessaire. Elle est considérée comme la base aérienne la plus importante de Libye après Mitiga, l'aéroport de la capitale. Entre 7 et 10 000 soldats peuvent y stationner.
Un lieu stratégique
Al-Watiya ouvre sur le désert, et depuis 2014 était tenue par les forces d'Haftar. Il en avait fait son "quartier général" pour les opérations militaires dans l'Ouest libyen. Selon les spécialistes, il s'agit d'une prise importante pour les forces du GNA, le gouvernement de Tripoli, peut-être capitale pour la suite du conflit.
Une équipe de l'agence de presse turque Anadolu Agency a pu se rendre sur place. Sur leurs images, on peut voir de vieux avions de chasse en partie démontés prendre la poussière dans les hangars. Hormis quelques carcasses de véhicules incendiés, les dégâts semblent modestes et la base paraît opérationnelle.
Le soutien turc déterminant
Toujours selon Anadolu Agency, il aura fallu près d'un mois, et une vingtaine d'attaques aériennes, au GNA pour s'emparer d'Al-Watiya. Une fois encore, le soutien des drones turcs a été déterminant. Ils ont permis de détruire trois systèmes de défense anti-aérienne Pantsir. Des systèmes de fabrication russe, fournis par les Emirats, soutien d'Haftar. L'agence n'évoque pas de combats au sol, se contentant de préciser que les soldats d'Haftar ont fui. L'assaut final n'a duré que quelques heures.

La base aérienne Al-Watiya renfermait armes et munitions selon le porte-parole du GNA. On y voit aussi de vieux avions de chasse en partie démontés. (HAZEM TURKIA / ANADOLU AGENCY)
Cette nouvelle défaite pour la LNA (Armée nationale libyenne) sonne comme la fin de la tentative de conquête de l'Ouest libyen pour Haftar. Pour autant, le maréchal conserve le contrôle d'une grande partie de la Libye et en particulier les champs pétroliers de l'Est. Il a bloqué les exportations de pétrole, asphyxiant l'économie libyenne.
L'opération IRINI contestée
Parallèlement, l'Union européenne a lancé fin mars 2020 l'opération IRINI afin de faire respecter l'embargo sur les armes à destination de la Libye, décidé en 2016 par le Conseil de sécurité des Nations unies. Des moyens aériens, satellitaires et maritimes sont mobilisés et les navires peuvent être inspectés y compris en haute mer. IRINI a aussi pour objectif de casser le trafic des migrants.
Mais le GNA et son allié turc contestent à la fois la nature de la mission et la participation de certains pays comme la France ou la Grèce, opposés à la présence de la Turquie dans ce conflit. "Il n'y a pas de base légale à cette opération sans une demande du gouvernement libyen", a affirmé récemment le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar. Pour la Turquie, ce contrôle sert uniquement les intérêts de Khalifa Haftar."IRINI ne s'intéresse qu'aux mouvements maritimes. Ce n'est pas un embargo sur les armes, mais plutôt un embargo sur les activités du gouvernement légitime, qui n'a rien demandé", a ajouté le ministre.
Dans ce contexte, le GNA n'a pas la capacité de pousser son avantage et déloger Haftar. De nombreux observateurs estiment qu'aucun des deux camps n'a les moyens de l'emporter sur le terrain. La diplomatie quant à elle semble bien à la peine et une nouvelle période de ni paix-ni guerre pourrait ressurgir.
Franceinfo - le dimanche 19 janvier 2020
Opposition entre le gouvernement d'union nationale et les forces d'Haftar, rôle de la Russie et de la Turquie... On vous explique la crise en Libye
La Libye, qui dispose des plus importantes réserves africaines de pétrole, est minée par les violences et les luttes de pouvoir depuis la chute et la mort, en 2011, du dictateur Mouammar Kadhafi. Une conférence internationale s'ouvre à Berlin dimanche, visant à lancer un processus de paix
Une rue de Tripoli, la capitale libyenne, le 12 janvier 2020. (HAZEM TURKIA / ANADOLU AGENCY / AFP)
Tenter de lancer un processus de paix pour la Libye. C'est la mission fixée aux participants à la conférence qui doit se tenir à Berlin, dimanche 19 janvier. Plusieurs pays seront représentés, dont la Russie, la Turquie, les Etats-Unis, la Chine, l'Italie et la France. Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, doit également se rendre sur place, selon le département d'Etat américain. Le président russe Vladimir Poutine a annoncé sa venue. A l'occasion de cette conférence, franceinfo revient sur la situation chaotique en Libye.
Qui est aujourd'hui au pouvoir en Libye ?
Le pays est plongé dans le chaos depuis la chute et la mort en 2011 du dictateur Mouammar Kadhafi. Il est aujourd'hui divisé en deux. Dans l'Ouest, le gouvernement d'entente nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj basé à Tripoli, la capitale. Dans l'Est, un gouvernement et un Parlement acquis au maréchal Khalifa Haftar, chef de l'Armée nationale libyenne (ANL), qui contrôle une part importante des ressources énergétiques libyennes.
Fayez al-Sarraj est reconnu par l'ONU. Khalifa Haftar est soutenu par l'Egypte et les alliés de l'Arabie saoudite. Le premier est fragilisé depuis l'offensive sur Tripoli lancée en avril 2019 par les forces du maréchal Haftar.
Quel est le problème ?
Les relations entre les deux hommes forts de la Libye sont extrêmement tendues. Ils refusent de se parler. "Ils refusent même de se retrouver dans la même pièce", a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, le 17 janvier.
Le leader basé à Tripoli est d'autant plus fragilisé que, fin décembre, le président du Parlement libyen, Aguila Salah, a appelé la communauté internationale à retirer son soutien au GNA.
Où en est la situation ?
Les affrontements ont été particulièrement violents. Surtout, la bataille entre les deux camps se joue dans les airs. "La Libye est le plus grand théâtre de drones au monde", a rapporté France 24 lors d'un reportage, en novembre, confirmant les dires de Ghassan Salamé, l'émissaire des Nations unies pour la Libye.
Un cessez-le-feu a été accepté, à Moscou, par Fayez al-Sarraj mais le maréchal Haftar a refusé de le signer en quittant la capitale. Une cessation des hostilités est malgré tout entrée en vigueur depuis le 12 janvier et elle est globalement respectée.
En attendant une trêve durable, Tripoli vit sous les bombes. "Je n'ai pas le temps de travailler, parce que je dois être toujours à la maison, pour des raisons de sécurité", a raconté à franceinfo un Libyen, père de cinq enfants, qui habite la capitale.
Depuis le début de l'offensive sur Tripoli, plus de 280 civils et 2 000 combattants ont été tués, selon l'ONU. Quelque 146 000 Libyens ont dû fuir les combats. La Tunisie, pays frontalier de la Libye, a déclaré, le 17 janvier, s'attendre à un afflux massif de réfugiés en cas d'escalade.
Quel rôle joue la Turquie ?
La Turquie soutient le GNA et Fayez al-Sarraj. Le président turc et Fayez al-Sarraj ont signé, en novembre, un protocole "de coopération militaire et sécuritaire", provoquant la colère du maréchal Haftar. Ensuite, la Turquie a voté, le 2 janvier, l'envoi de militaires en Libye pour aider le GNA.
Mais Ankara a apporté un soutien logistique à Fayez al-Sarraj dès l'été 2019. Et le président turc estime que sans l'intervention de la Turquie, le maréchal Haftar aurait pris le contrôle de tout le territoire libyen.
"Nous n'hésiterons jamais à infliger au putschiste Haftar la leçon qu'il mérite s'il poursuit ses attaques contre l'administration légitime et contre nos frères en Libye", a prévenu le président turc Recep Tayyip Erdogan, le 14 janvier.
Outre la Turquie, Fayez al-Sarraj est également soutenu par le Qatar.
Et la Russie dans tout ça ?
La Russie le dément continuellement mais elle est soupçonnée d'aider Khalifa Haftar avec des armes, de l'argent et des mercenaires. Le journal américain New York Times (en anglais) affirme que 200 mercenaires ont été déployés par le groupe Wagner, une société russe de sécurité privée dont la présence a déjà été rapportée dans plusieurs pays d'Afrique et en Syrie.
Khalifa Haftar a remercié le chef du Kremlin, vendredi. "Mon cher ami (...), je vous adresse personnellement ma gratitude et ma reconnaissance pour les efforts de la fédération de Russie pour rétablir la paix et la stabilité en Libye", a-t-il écrit.
Officiellement, Moscou affirme être en faveur d'un processus de paix durable. "Il est important de mettre fin à la confrontation entre l'Armée nationale libyenne du maréchal Haftar et le gouvernement d'union nationale de monsieur Sarraj, a déclaré le président russe, le 11 janvier, rapporte RFI. Important d'instaurer un cessez-le-feu, de prendre des mesures pour un rétablissement du processus politique avec pour objectif ultime de surmonter la division à l'intérieur du pays et de former des institutions étatiques unifiées."
Mais la Turquie et la Russie ne sont pas les seuls pays à être impliqués en Libye. Le maréchal Haftar n'est pas soutenu que par la Russie. Il est également appuyé par l'Egypte, les Emirats arabes unis et l'Arabie saoudite.
Comment se positionne la France ?
Emmanuel Macron a reçu à Paris Fayez al-Sarraj et le maréchal Haftar, à deux semaines d'intervalle, au printemps 2019. Une démarche de conciliation qui se veut neutre. Mais la France est accusée de soutenir le second après la découverte, en juillet, de quatre missiles antichars français dans un quartier général des troupes du général Haftar, ce que Paris dément formellement.
La France n'est "pas pro-Haftar ou pro-Sarraj", elle "soutient les efforts de l'ONU" et de son émissaire en Libye, Ghassan Salamé, a indiqué à l'AFP une source diplomatique française.
"Il n'y a pas de solution militaire à la crise", a déclaré Emmanuel Macron lors d'entretiens téléphoniques avec le président turc Recep Tayyip Erdogan et le président américain Donald Trump, a rapporté RFI. Le président français a également échangé avec Vladimir Poutine et les deux hommes se sont prononcés "pour une résolution pacifique de la crise". L'Elysée rapporte que le président français "a souligné la nécessité que le cessez-le-feu annoncé soit crédible, durable et vérifiable, ainsi que son souhait que la conférence de Berlin permette la relance du processus politique sous l'égide des Nations unies et du dialogue inter-libyen".
Que faut-il attendre de la conférence de dimanche à Berlin ?
Les négociations pour le cessez-le-feu ont eu lieu à Moscou, sans la présence de l'ONU. Il s'agit d'un premier pas vers la signature d'un accord formel pour une trêve entre les belligérants. A la suite de la conférence de Berlin, le Conseil de sécurité de l'ONU pourrait avaliser ses résultats via une résolution et décider de la mise en place d'une mission d'observation du cessez-le-feu.
Selon des diplomates, une opération de maintien de la paix de Casques bleus n'est envisagée par aucun pays. Le contrôle du cessez-le-feu pourrait être confié à une mission d'observation similaire à celle qui existe au Yémen.
Franceinfo - le jeudi 9 janvier 2020
Libye : Ankara et Moscou, opposés sur le sol libyen, appellent à un cessez-le-feu de tous les belligérants
Lors de l'inauguration du gazoduc TurkStream, le 8 janvier 2020, les présidents turc Recep Tayyip Erdogan et russe Vladimir Poutine ont mis en avant leur spectaculaire rapprochement diplomatique sur le dossier libyen
Inauguration du gazoduc TurkStream entre la Russie et la Turquie, en présence de (de gauche à droite), Alexander Novak (ministre russe de l'Energie), Alexei Miller (PDG de la société gazière russe Gazprom), Boyko Borisov (Premier ministre bulgare), Vladimir Poutine ministre (président russe), Recep Tayyip Erdogan (président turc) , Aleksandar Vucic (président serbe), le 8 janvier 2020, à Istanbul. (ALEXEI DRUZHININ / SPUTNIK)
A l'issue d'une rencontre à Istanbul le 8 janvier 2020, à l'occasion de l'inauguration du nouveau gazoduc TurkStream qui relie désormais la Turquie à la Russie, MM. Erdogan et Poutine ont exhorté tous les belligérants en Libye à s’asseoir à la table des négociations. Les deux pays ont appelé au cessez-le-feu en Libye, où ils se trouvent pourtant face-à-face, puisque Ankara soutient le gouvernement de Tripoli reconnu par l’ONU, alors que Moscou épaule le maréchal Haftar, l’homme fort de l’est libyen.
C’est sans doute pour éviter un affrontement direct sur le terrain, que Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan ont appelé tous les belligérants à cesser leurs hostilités, le 12 janvier, à minuit.
La Turquie a commencé à déployer officiellement des militaires en Libye pour défendre son allié le Gouvernement d'union nationale (GNA), face à l'offensive des forces de son rival, le maréchal Khalifa Haftar, notamment soutenues selon Ankara par des mercenaires russes.
Des centaines de conseillers turcs seraient déjà présents dans le pays. Côté russe, il y aurait quelque 1500 paramilitaires du groupe Wagner en Libye, dont 300 directement engagés dans les combats au sol au côté du maréchal Haftar. Même si, officiellement, le groupe Wagner n’est par reconnu par Moscou, il y évidemment des intérêts russes derrière ce groupe de mercenaires très actif en Syrie et en Libye.
Que le chaos libyen ne devienne pas une "seconde Syrie"
Le conflit libyen "met à mal la sécurité régionale et provoque une migration irrégulière, une propagation accrue des armes, du terrorisme et d'autres activités criminelles, dont le trafic illicite", peut-on lire dans le communiqué commun diffusé à l'issue de l'entretien entre les deux hommes.
Dans leur déclaration commune, MM. Erdogan et Poutine expriment en outre leur soutien à une conférence internationale prévue en janvier à Berlin afin de trouver une solution politique sous l'égide des Nations unies.
Cette conférence à pour objectif, selon l’émissaire de l’ONU Ghassan Salamé, de mettre fin aux interférences étrangères en Libye. A Bruxelles, l’Union européenne à promis au chef du GNA, Fayez al-Sarraj, d’intensifier ses efforts pour une solution pacifique en Libye, le chef de la diplomatie allemande s’inquiétant que ce pays en proie au chaos puisse devenir "une seconde Syrie".
Tous se disent favorables à une solution politique
L’Allemagne, la France et la Grèce, inquiètes de la poussée turque au sud de la Méditerranée, ont exprimé leur soutien aux efforts de Ghassan Salamé pour parvenir à une solution pacifique au conflit libyen.
Même son de cloche du côté de l’Egypte : "Nous soutenons unanimement la conférence de Berlin, qui sera peut-être la dernière occasion de parvenir à un accord politique entre les différentes parties libyennes", a déclaré le chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Choukry. L’Egypte, qui soutient le maréchal Haftar, redoute l’instabilité de son voisin.
Si tous les acteurs de la région s’activent pour un solution diplomatique en Libye, il semble qu’Ankara et Moscou rêvent de jouer les premiers rôles en s’imposant comme "faiseurs de paix", tout en espérant en tirer chacun quelques bénéfices.
Franceinfo - le mercredi 8 janvier 2020
Libye : la "valse" entre la Russie et la Turquie expliquée par le chercheur Jalel Harchaoui
L’inauguration le 8 janvier 2020 du gazoduc TurkStream, qui relie la Russie et la Turquie, illustre les bonnes relations qu’entretiennent les deux pays. Des relations pour le moins complexes, puisque Moscou et Ankara s’opposent sur les terrains syriens et libyens
Le président russe Valdimir Poutine et son homologue turc Recep Tayyip Erdogan ont inauguré le 8 janvier 2020 le gazoduc TurkStream qui relie les deux pays. Moscou et Ankara, qui s'opposent sur les terrains syrien et libyen, entretiennent des relations complexes. Photo prise le 8 janvier 2020 à Istanbul. (UMIT BEKTAS / X90076)
Jalel Harchaoui, chercheur au Clingendael Institute de La Haye et spécialiste de la Libye, apporte son éclairage sur la situation dans ce pays où Russes et Turcs se retrouvent face-à-face en soutenant les deux camps opposés.
Franceinfo Afrique : l’inauguration le 8 janvier 2020 du gazoduc TurkishStream montre-t-elle que, malgré leurs divergences sur les terrains syrien et libyen, les deux pays gardent de bonnes relations ?
Jalel Harchaoui : Ce sont deux Etats qui pratiquent une défense pragmatique de leurs intérêts respectifs. En Syrie, il ne s’agit pas d’affrontements directs, ils sont dans deux camps opposés, mais quand il le faut, Ankara et Moscou cherchent un arrangement et avancent par tâtonnements. L’un défend le régime de Damas, l’autre cherche à contenir les Kurdes et, dans une certaine mesure, les opposants syriens sunnites, mais ils évitent les affrontements directs. Pour la population locale, tous ces va-et-vient et ajustements provoquent beaucoup de souffrance, mais Ankara et Moscou se préoccupent peu des droits humains ou des exactions sur la population civile.
Entre la Russie et la Turquie, je parlerais plutôt d’une sorte de valse, qui converge lentement vers un certain équilibre. Depuis 2015, les deux pays savaient qu’ils allaient trouver une forme d’entente sur le théâtre syrien.
Et en Libye, ils se retrouvent aussi face-à-face ?
La Russie a, pour l'instant, une petite préférence pour le maréchal Haftar, mais son soutien est conjoncturel. Elle ne soutient guère Haftar comme elle a soutenu le président Assad, c’est-à-dire depuis toujours.
La Russie a su se rendre utile en Libye, elle sait que le camp Haftar a un talon d’Achille : sa faiblesse au sol. Mais le véritable soutien du maréchal Haftar, ce sont les Emirats arabes unis, qui fournissent des drones, et assurent les frappes aériennes.
Mais pour la Russie, il n’y rien de stratégique, elle n’est pas mariée avec le maréchal Haftar et sa faction. Elle a gardé des liens actifs avec le camp adverse. On peut tout à fait concevoir que Moscou soutienne Haftar dans l’est du pays et s'accommode d'une présence turque dans l'ouest libyen en soutien au gouvernement internationalement reconnu à Tripoli.
Au Moyen-Orient d'une manière générale, la Russie s’est fixé pour règle de ne jamais s’enfermer dans des amitiés exclusives. Elle tient à garder l'option de jouer plusieurs cartes en même temps, si elle le souhaite.
Y a-t-il une envie de la Russie de revenir en Afrique ?
La Libye est le ventre mou qui permet à la Russie de pousser ses pions en Afrique. On parle de 1400 mercenaires russes en Libye, appartenant au groupe Wagner, dont environ 300 sont actifs au front, au sud de Tripoli. En envoyant les groupes privés, comme le groupe Wagner, d'ailleurs illégaux en Russie et dont celle-ci nie l’existence, elle ne prend pas beaucoup de risques. Elle ramasse les bénéfices si le groupe Wagner réussit, sinon elle le lâche et nie tout en bloc.
Le groupe Wagner n’est pas payé directement par la Russie, mais par les promesses de partage des richesses locales. Il est très possible également que les Emirats arabes unis se chargent de la facture en Libye, car ils sont les vrais soutiens du maréchal Haftar. Ils ont dépensé beaucoup d'argent dans la guerre civile libyenne ces dernières années.
Et que vient faire la Turquie en Libye ?
La Turquie est déjà présente de manière clandestine en Libye du côté du gouvernement internationalement reconnu de Tripoli depuis un moment. Ce qui est nouveau, c’est qu’elle dit faire son entrée officielle, espérant récupérer un morceau plus ou moins gros du territoire libyen et de ses richesses.
Et l’Egypte, est-elle prête à entrer dans le conflit au côté du maréchal Haftar ?
L’Egypte ne souhaite pas intervenir en Libye. Le Caire a très peur d’être happé par le conflit libyen. Sa dernière intervention au Yémen ne lui a pas réussi. Elle y a perdu plus de 30 000 hommes dans les années 1960. Aujourd'hui, elle a trop de problèmes en interne pour s’affronter à la Turquie dans l'ouest libyen.
Est-ce que les Américains vont laisser la Russie et la Turquie pousser leurs pions en Libye sans réagir ?
La Maison Blanche ne va pas réagir de manière ferme. Sur une période longue (15 ou 20 ans), les Etats-Unis sont dans un processus de retrait du Proche-Orient. L’administration Trump va poursuivre une sortie lente et ambivalente qui a déjà commencé sous Obama. Même si entre temps il y a une guerre avec l’Iran, c’est une tendance historique commencée sous Obama.
Aux yeux de Donald Trump et de son entourage immédiat, Vladimir Poutine n’est pas un problème. Cela ne les gêne pas de voir la Russie étendre son influence dans cette région difficile. Pour l'instant, la Maison-Blanche de Donald Trump n'est pas du tout alarmée, ni révoltée, à l'idée que la Turquie se lance dans une nouvelle aventure en Libye occidentale.
Franceinfo - le dimanche 29 décembre 2019
Libye : le Parlement appelle la communauté internationale à retirer sa légitimité au gouvernement basé à Tripoli
Deux autorités se disputent actuellement le pouvoir en Libye : le gouvernement d'union nationale (GNA), basé à Tripoli, et un gouvernement et Parlement dans l'est libyen, acquis au maréchal Khalifa Haftar
Le président du Parlement libyen, Aguila Saleh, lors d'un entretien avec l'AFP à Nicosie (Chypre), le 28 décembre 2019. (CHRISTINA ASSI / AFP)
La Libye fait face à une grave crise politique. Le président du Parlement libyen, Aguila Saleh, a appelé samedi 28 décembre la communauté internationale à retirer sa légitimité au gouvernement d'union nationale (GNA), basé à Tripoli (Libye) et reconnu par l'ONU, après des accords controversés signés avec la Turquie.
Plongée dans le chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est désormais en proie à de profondes luttes d'influence. Deux autorités se disputent aujourd'hui le pouvoir : le GNA à Tripoli (ouest), et un gouvernement et un Parlement acquis au maréchal Khalifa Haftar, dans l'est libyen.
Le Parlement élu siégeant dans l'est est aussi affaibli par des divisions après le départ d'une quarantaine de députés anti-Haftar pour Tripoli.
Une action "dans les prochains jours"
Aguila Saleh, un allié de Khalifa Haftar, est en déplacement à Chypre pour examiner les répercussions de deux accords signés fin novembre entre la Turquie et le GNA. Le premier permet à Ankara de faire valoir des droits sur des vastes zones en Méditerranée orientale riches en hydrocarbures, au grand dam de la Grèce, de l'Egypte, de Chypre et d'Israël. Le second accord porte sur l'aide que la Turquie pourrait apporter au GNA dans sa lutte contre les troupes du maréchal Haftar, qui ont lancé en avril une offensive pour s'emparer de Tripoli. Le maréchal Haftar est lui soutenu par l'Egypte, les Emirats arabes unis et la Russie.
Le GNA "veut pousser à une colonisation turque de la Libye", a accusé Aguila Saleh auprès de l'AFP à Nicosie (Chypre). "Dans les prochains jours, le Parlement libyen entreprendra une action en vue d'obtenir un retrait de la reconnaissance internationale à ce gouvernement", a-t-il déclaré. Le président du Parlement libyen a ajouté avoir demandé au chef de la diplomatie chypriote de "transmettre un message à l'Union européenne (UE) pour qu'elle retire sa reconnaissance à ce gouvernement". "Il est temps de former un nouveau gouvernement soutenu par le peuple et le Parlement libyens", a-t-il défendu.
Aguila Saleh n'a pas exclu la possibilité d'une intervention d'autres pays en Libye, si la Turquie envoie des troupes au côté du GNA. "Tous les pays ont mis en garde la Turquie contre toute intervention. Ils ne veulent pas d'un conflit [régional]."
Franceinfo - le lundi 8 juillet 2019
"On a réparé des tanks" : en Libye, les troupes du maréchal Haftar affirment qu'elles ne reçoivent pas d'armes de l'étranger
Depuis le début de l'offensive du maréchal Haftar, les armes affluent, en violation de l'embargo décrété pour la Libye en 2011
Le général Ahmed Al Mesmari, porte-parole de l'autoproclamée Armée Nationale Libyenne à Benghazi, le 20 avril 2019. (ABDULLAH DOMA / AFP)
L’offensive du maréchal Khalifa Haftar sur Tripoli, lancée il y a trois mois, a du plomb dans l’aile. Les troupes fidèles à l’homme fort de l’est de la Libye ont perdu la ville de Gharyan, celle-là même que le maréchal Haftar avait transformée en base avancée pour ses troupes. Un point presse de l’autoproclamée Armée Nationale Libyenne (ANL) a eu lieu dans la soirée du dimanche 7 juillet, à Benghazi, le fief du maréchal, dans une ambiance surréaliste.
"Les armes que l'on utilise datent de la révolution de 2011"
La trentaine de micros sous le nez du porte-parole de l'ANL, le général Al Mesmari, affichent les logos de médias locaux et internationaux, russe, égyptien ou encore chinois. Des micros qui ne sont pas branchés, et seulement deux journalistes dans la salle. L'employé, distrait, griffonne le portrait de Haftar et en oublie de faire défiler sur l’écran les images des avancées évoquées par le porte-parole. Le général Al Mesmari assure que les troupes du maréchal Haftar ont progressé, même si son armée vient de perdre une ville hautement stratégique.
C’est comme ça la guerre : on avance et on recule. à franceinfo
Les armes affluent depuis le début de la bataille pour Tripoli, et ce malgré l’embargo de l’ONU. Pourtant, le porte-parole tient à affirmer que son armée ne reçoit strictement aucune arme de l’étranger. Pas même des Emirats arabes unis ? "Oui, c’est vrai qu’on reçoit de leur part une aide politique et qu’ils nous envoient des conseillers, concède-t-il. Mais aucune arme. Les armes que l'on utilise sont celles qui datent de la révolution de 2011. On a réparé des tanks. On n’a vraiment pas d’autres armes que ces anciennes armes-là."
À Benghazi, personne n’ose remettre en question l'ANL, qui est en fait une addition de milices, parmi lesquels des madkhalistes qui veulent imposer une vision ultraorthodoxe de l’islam. "Ce ne sont que des milices qui se battent pour mettre la main sur le pays, et non pour libérer Tripoli, soufflent plusieurs personnes. Mais ici, c'est impossible à dire, c'est beaucoup trop dangereux."
Franceinfo - le vendredi 5 juillet 2019 - mis à jour le 07.07.19
Libye : Poutine met en garde contre l’infiltration de jihadistes en provenance de Syrie
A l’occasion d’une brève visite de travail à Rome, Vladimir Poutine s’est dit préoccupé par l’ouverture d’un nouveau front islamiste en Libye
Le Premier ministre italien Giuseppe Conte (à gauche) et le président russe Vladimir Poutine (à droite) passent en revue un régiment militaire à leur arrivée au Palazzo Chigi, à Rome, le 4 juillet 2019. (TIZIANA FABI / AFP)
Au cours de sa visite express en Italie, le 4 juillet 2019, le président russe a rencontré le Pape François au Vatican et le président du Conseil italien Giuseppe Conte à Rome. Outre un plaidoyer en faveur de "relations sans sanctions" avec l’Union européenne, Vladimir Poutine a évoqué avec ses hôtes la situation en Syrie, en Ukraine et en Libye, exprimant sa plus vive inquiétude pour cette dernière, comme l'a souligné le quotidien italien Corriere Della Sera. "Il faut mettre fin le plus vite possible aux affrontements armés et mettre en place un dialogue" en Libye, a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse avec M. Conte.
"C'est une menace pour tous"
Estimant que la situation se dégradait dans ce pays, il s’est dit "surtout préoccupé par l’infiltration" de centaines de combattants armés en Afrique du Nord en provenance de la zone de désescalade d'Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie. Une zone où se trouvent retranchés quelque trois millions de personnes, dont les forces d’opposition au président Bachar al-Assad.
Pour le chef du Kremlin, qui soutient à bout de bras le régime de Damas, "c'est une menace pour tous, parce qu’ils peuvent se déplacer n’importe où depuis la Libye", a-t-il souligné, sans plus de précisions sur leur nombre et la manière dont ces jihadistes parviennent à se rendre en Libye.
Toutefois, selon le compte twitter Turkeyaffaires, le président Poutine aurait "fait allusion" au fait que le régime d’Erdogan se chargerait du transfert de ces radicaux d’Idlib en Libye (voir vidéo ci-dessous en arabe).
الرئيس الروسي فلاديمر بوتين لمح أمس أن النظام الاردوغاني المجرم ينقل المتطرفين من أدلب الي ليبيا، وعبر عن قلقة من ذلك، هتلاقوا الروس مصورينهم، زي ما صوروا شاحنات النفط المسروق من سوريا وكانت تشتريه تركيا من الدواعش pic.twitter.com/zcwY6dVEpr
— شـــــؤون تركـيــــة (@TurkeyAffairs) 5 juillet 2019
Sur le terrain, le président russe soutient le Maréchal Haftar, qui se pose en champion de la lutte contre les jihadistes, mais dont l’offensive sur Tripoli est toujours mise en échec par les forces de son rival, Fayez al-Sarraj et les milices islamistes alliées.
Moscou peut aider
Lors de sa conférence de presse à Rome, il en a profité pour rappeler que "c'est l'Otan qui a bombardé et détruit la Libye en tant qu'entité politique", a-t-il dit, ajoutant : Moscou peut aider, "mais nous ne voulons pas être impliqués en premier".
Dans un commentaire sur son compte twitter, un observateur libyen de la situation a vu dans ce rappel "la fin du rêve des milices et d’Al-Sarraj de voir l’Otan voler à leur secours… Pas de décision sans Moscou…", a-t-il commenté.
تصريحات بوتين في روما ان الناتو هو الذي دمر #ليبيا تنهي اي حلم لدى المليشيات والسراج بان يهب الحلف لانقاذهم .. لا قرار بدون موسكو ...
— Ali Wahida علي اوحيدة (@aliwahida) 5 juillet 2019
Pour l’heure, ce sont en tout cas les bombardements russes en appui aux forces du régime syrien qui continuent de pousser la population et les combattants d’Idlib à l’exode et au repli sur la Libye. Selon le site iranien PressTV, les avions syriens et russes ont bombardé le 4 juillet une base souterraine du groupe terroriste du Front de libération nationale (FNL), soutenu par la Turquie, près de la ville de Madaya, dans le sud d’Idlib. Plus de 15 terroristes ont été tués ou blessés.
Ces frappes constituaient une riposte à la tentative d'infiltration menée par le FNL dans le nord de Lattaquié. Une province particulièrement stratégique sur la Méditerranée, souligne encore PressTV. "La Russie y détient une base aérienne que les terroristes soutenus par la Turquie, les Etats-Unis et l'Otan visent régulièrement. Le tunnel souterrain contenaient, selon des sources, un vaste stock d'armes et de munitions."