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L'AIR DU TEMPS

Franceinfo - le mardi 8 octobre 2019

 

 

Cinq questions sur l'annonce d'un retrait partiel éventuel des troupes américaines dans le nord de la Syrie, qui inquiète les Kurdes

 

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Cette décision pourrait permettre à la Turquie, pays voisin, de mener une offensive militaire dans cette zone où de nombreux combattants kurdes, qualifiés de "terroristes" par Ankara, sont présents

 

 

 

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Des soldats américains et turcs en patrouille dans le nord de la Syrie, le 4 octobre 2019. (MAXPPP)

 

 

 

Une annonce spectaculaire dans le conflit en Syrie. Dans un premier temps, les Etats-Unis ont annoncé, dimanche 6 octobre, le retrait immédiat d'une partie de leurs troupes dans le nord du pays, avant de faire marche arrière lundi. 

 

 

Néanmoins, si Washington appliquait ce retrait, cette décision pourrait permettre à la Turquie, pays voisin, de mener une offensive militaire dans cette zone où de nombreux combattants kurdes, qualifiés de "terroristes" par Ankara, sont présents. De son côté, l'Europe s'inquiète du sort des prisonniers jihadistes du groupe Etat islamique (EI), capturés par les milices kurdes. Conséquences pour les Kurdes, stratégie de la Turquie, réactions au sein du Parti républicain et de la communauté internationale : franceinfo répond à cinq questions autour de cet éventuel retrait.

 

 

 

1 - Quelle est la situation dans le nord de la Syrie ?

Depuis 2011, la Syrie est embourbée dans un conflit aux nombreux protagonistes, qui a fait plus de 370 000 morts, selon le dernier bilan de l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), mi-mars. "C'est comme un jeu d'échecs", illustre auprès de franceinfo Frédéric Pichon, spécialiste du Moyen-Orient et chercheur associé à l'université de Tours, pour illustrer la complexité du conflit. Le nord du pays est devenu un point stratégique des affrontements.

 

 

Selon les estimations, la Syrie compterait plus de deux millions de Kurdes, principalement dans les régions nord du pays. "Parmi eux, il y a des combattants, mais aussi des civils", détaille Frédéric Pichon. Dans le cadre du conflit syrien, les forces kurdes locales, appelées Unités de protection du peuple (YPG), ont été intégrées aux Forces démocratiques syriennes (FDS). Les FDS, alliance arabo-kurde, ont joué un rôle crucial dans la bataille contre le groupe Etat islamique. "Les Kurdes sont les principaux alliés de l'Occident dans la lutte contre l'EI", souligne le spécialiste.

 

 

En 2017, les FDS ont repris Raqqa, la capitale autoproclamée de l'organisation terroriste. Avec l'aide des Etats-Unis principalement, l'alliance s'est emparée, en mars dernier, de Baghouz, l'ultime bastion du groupe jihadiste en Syrie, et mis fin à son "califat". Après avoir chassé progressivement l'EI du nord du pays, les Kurdes ont pris le contrôle de cette zone. Une situation que la Turquie ne voit pas d'un bon œil.

 

 

Ankara considère les Kurdes comme des "terroristes" et souhaite empêcher l'apparition d'une région autonome kurde non loin de sa frontière sud. La Turquie redoute qu'un embryon d'Etat kurde ne galvanise les velléités séparatistes sur son propre territoire. En janvier 2018, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait lancé une offensive à Afrin (nord-ouest de la Syrie), bastion d'une milice kurde situé aux portes de la Turquie.

 

 

 

2 - Pourquoi les Etats-Unis ont-ils décidé de retirer leurs troupes ?

Jusqu'à présent, 400 soldats américains étaient présents en Syrie, notamment en soutien des milices kurdes au nord du pays. Dans un communiqué, la Maison Blanche a annoncé le retrait immédiat de ces troupes. Ce retrait, qui a débuté lundi 7 octobre, ne concernerait qu'un "tout petit nombre" de soldats, a ensuite tempéré un responsable américain sous couvert d'anonymat.

 

 

"Il est temps pour nous de sortir de ces guerres ridicules et sans fin, dont beaucoup sont tribales", a justifié le président américain, Donald Trump. Dans une série de tweets, il a également déclaré vouloir laisser aux protagonistes, "la Turquie, l'Europe, la Syrie, l'Iran, l'Irak, la Russie et les Kurdes", le soin de "résoudre la situation"

 

 

 

 

 

 

"Cette décision n'est pas surprenante", commente Frédéric Pichon. En 2018, Donald Trump avait déjà annoncé sa volonté de retirer 2 000 soldats de Syrie. Il avait cependant accepté que 400 soldats restent déployés sur le sol syrien, sans toutefois préciser pour combien de temps. "Donald Trump avait déjà annoncé qu'il souhaitait que les Etats-Unis se retirent des zones où le pays n'a pas de bénéfice. C'est une réflexion de businessman, explique Frédéric Pichon. L'Amérique ne veut plus s'engager dans des guerres lointaines." 

 

 

Néanmoins, Donald Trump a du mal à se désengager comme il le souhaite. Il a donc dû rebrousser chemin. "Si la Turquie fait quoi que ce soit dont j'estime, dans ma grande et inégalable sagesse, que cela dépasse les bornes, je détruirai et anéantirai complètement l'économie de la Turquie", a tweeté le président des États-Unis, sous la pression internationale et de son propre camp. Les responsables de son gouvernement se sont de leur côté employés à se démarquer de toute opération militaire d'Ankara et à minimiser le départ des soldats américains déployés près de la frontière turque: il ne s'agit que de 50 à 100 membres des forces spéciales qui sont "redéployés vers d'autres bases à l'intérieur de la Syrie", et en aucun cas d'un "retrait" généralisé.

 

 

 

3 - Que compte faire la Turquie ?

La présence des troupes américaines était vue par les Kurdes comme un rempart à une nouvelle offensive de la Turquie voisine. Le retrait des forces américaines laisse le champ libre à Ankara. "La Turquie va bientôt mettre en œuvre son opération prévue de longue date dans le nord de la Syrie", indique d'ailleurs la Maison Blanche. La semaine dernière, Recep Tayyip Erdogan a affirmé que la Turquie arrivait au bout de sa patience vis-à-vis des Etats-Unis au sujet de la création d'une "zone de sécurité" dans le nord de la Syrie. 

 

 

Une nouvelle offensive permettrait à Ankara de créer une zone tampon de 30 kilomètres de profondeur et de 500 kilomètres de large entre la frontière turque et les zones syriennes contrôlées par les milices kurdes dans la région. "Le président turc veut réimplanter 2 des 3,5 millions de réfugiés syriens présents en Turquie", explique Frédéric Pichon pour détailler les plans d'Ankara.

 

 

 

4 - Ce retrait fait-il l'unanimité aux Etats-Unis ?

Après les déclarations de la Maison Blanche, le Pentagone s'est désolidarisé et a indiqué qu'il "ne cautionn[ait] pas" une potentielle opération turque, s'alarmant des "conséquences déstabilisatrices" d'une telle offensive. Une réaction qui donne l'image d'un président américain isolé sur cette question et qui a dû en moins de 2' heures se démentir lui-même.

 

 

La décision initiale de Donald Trump a suscité de vives réactions au sein même du Parti républicain. Pour le sénateur Lindsey Graham, proche du président américain avec lequel il joue régulièrement au golf, cette décision est "un désastre en puissance" et "l'abandon des Kurdes sera une tache sur l'honneur de l'Amérique". L'influent sénateur conservateur de Caroline du Sud menace même de proposer une résolution au Sénat pour revenir sur cette décision. Et, pour mieux souligner l'isolement du président, il précise s'attendre à un fort soutien des élus des deux bords sur ce dossier emblématique.

 

 

Le sénateur de Floride Marco Rubio a, lui, parlé d'une "grave erreur qui aura des implications bien au-delà de la Syrie". Nikki Haley, ancienne ambassadrice des Etats-Unis à l'ONU et figure montante du Parti républicain, a jugé utile de rappeler au 45e président des Etats-Unis un principe simple des relations internationales : "Nous devons toujours soutenir nos alliés si nous attendons d'eux qu'ils nous soutiennent." "Les Kurdes ont un rôle crucial dans notre combat couronné de succès contre l'EI en Syrie. Les laisser mourir est une énorme erreur", a-t-elle ajouté.

 

 

Donald Trump a rapidement montré qu'il était sensible aux critiques en promettant, dans de nouveaux tweets, d'"anéantir" l'économie turque si Ankara allait selon lui trop loin en Syrie.

 

 

 

5 - Comment a réagi la communauté internationale?

Dès l'annonce initiale des Etats-Unis, les réactions ont été vives. Sur leur compte Twitter, les FDS mettent en garde contre les conséquences d'une telle décision qui pourrait "mettre en cause le succès obtenu contre l'EI", faire de la Syrie "une zone de conflit permanent" et entraîner un "retour des chefs de l'EI". 

 

 

 

 

 

 

De son côté, la France, dont 200 membres des forces spéciales sont présents sur le sol syrien, a exhorté la Turquie à s'abstenir de toute opération militaire en Syrie qui contribuerait à la résurgence du groupe Etat islamique. La Turquie a assuré qu'elle "ne laissera pas" l'EI ressurgir. 

 

 

Paris plaide d'autre part pour le maintien des jihadistes étrangers dans des camps sous contrôle kurde dans le nord-est du pays et estime qu'ils doivent y être jugés. La gestion des prisonniers jihadistes est la grande question qui occupe les Européens. "Le gouvernement des Etats-Unis a pressé la France, l'Allemagne et d'autres pays européens, d'où viennent beaucoup des combattants de l'EI capturés, de les reprendre, mais ils ne veulent pas et refusent", regrette Washington dans son communiqué. "La Turquie va maintenant être responsable de tous les combattants de l'EI dans la zone, capturés pendant les deux dernières années", ajoute la Maison Blanche.

 

 

Pour sa part, l'ONU avait déclaré lundi "se préparer au pire" et craint une crise humanitaire. Selon Frédéric Pichon, le retrait des soldats américains et une offensive turque pourraient entraîner "une vague migratoire kurde vers l'Europe".

 



08/10/2019
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