www.l-air-du-temps-de-chantal.com

L'AIR DU TEMPS

la Tribune du dimanche 1er mars 2015

 

 

RUSSIE - Boris Nemtsov, mort pour l'Ukraine ? Après le meurtre à Moscou de l'opposant à Vladimir Poutine. Des milliers de personnes sont attendues dans les rues de Moscou pour un hommage à Boris Nemtsov. La tension monte en Russie et à ses frontières.

 

 

5 000 soldats : ce sont les effectifs de la nouvelle force d'intervention ultrarapide, dont l'Otan vient d'annoncer la création. Ce "Fer de lance" fera partie de la force de réaction dont les effectifs passent de 13 000 à 30 000 hommes et dont le quartier général est en Pologne.

 

 

"Cette marche demande l'arrêt immédiat de la guerre contre l'Ukraine, elle exige que Poutine cesse son agression... Quand on concentre les pouvoirs entre les mains d'une seule personne, cela ne peut mener qu'à la catastrophe. La catastrophe absolue". Boris Nemtsov, à la radio l'Echo de Moscou, la veille de son assassinat

 

 

 

 

QUESTIONS A ANDREI GRATCHEV

 

 

 

Ancien porte-parole de Mikhail Gorbatchev, auteur de "Le passé de la Russie est imprévisible" (Alma Editeur)

 

 

 

"La responsabilité de Poutine est évidente dans la dégradation de la situation russe"

 

 

 

 

Votre réaction, à l'annonce de cet assassinat ?

 

Evidemment un choc... C'est un crime odieux, et une provocation politique. On ne sait qui sont les exécutants et les commanditaires de ce crime, et je ne sais pas si on le saura un jour... Mais il s'inscrit dans la situation russe, dominée par la crise ukrainienne et une atmosphère de conflit civil.

 

 

Car Boris Nemtsov, qui était un brillant représentant de la génération née avec la perestroika de Gorbatchev, était devenu l'un des chefs de l'opposition face à Poutine, très critique sur son action en Ukraine. C'est une victime collatérale de la guerre en Ukraine, tout comme Anna Politkovskaïa (assassinée en 2006) a été une victime de la guerre en Tchétchénie.

 

 

 

Vous n'accusez pas Poutine ?

 

Je n'ai aucun élément pour le faire. Mais sa responsabilité politique est évidente, dans la dégradation de la situation russe, avec sa façon de traiter les opposants de "national-traîtres". Je ne sais pas comment va réagir le pouvoir : il peut prendre conscience de la fracture de la société, et arrêter l'escalade dans l'hystérie nationaliste, mais on ne peut exclure qu'il instrumentalise cette mort, comme Staline l'avait fait avec Kirov (en 1934). Nous ne sommes, hélas, à l'abri de rien, avec ce passé de la Russie qui ne cesse de nous rattraper...

 

 

 

 

Poutine est très populaire. Comment l'expliquer ?

 

Il est arrivé au pouvoir porté par une triple crise identitaire, idéologique et économique. Il incarne alors l'ordre soviétique perdu, comme membre du KGB. Mais aussi la génération post-soviétique. Il est surtout le commandant en chef de l'armée, qui évite en Tchétchénie que le big-bang de la fin de l'Union soviétique n'atteigne la Russie.

 

 

 

 

Quel rôle joue le conflit en Ukraine ?

 

Poutine a voulu recréer une forme d'Union plus "soft", contre les tentatives occidentales de grignoter l'espace russe, et pour garantir à la Russie son statut de puissance mondiale. Le premier défi avait été lancé en 2008 par la Géorgie, où Poutine pensait avoir tracé une ligne rouge, en intervenant dès qu'avait été évoquée une adhésion à l'Otan, mais le signal n'a pas été perçu par l'Occident. L'Ukraine détruit ce projet, et marque la deuxième mort de l'Union soviétique, version Poutine, ce qui explique la violence de sa réaction.

 

 

 

La crise ukrainienne, c'est aussi l'échec de la sortie de la guerre froide, et la rencontre manquée entre la Russie et l'Europe. Le grand perdant est l'Europe, coincée entre les faucons américains et les faucons russes, obligée de rentrer dans le rang de l'Otan.

 

 

 

 

La popularité de Poutine peut-elle survivre à la chute des prix du pétrole ?

 

Elle signe la fin de la prospérité garantie à la société, en échange du monopole du pouvoir. Avec la fin du mythe national en Ukraine, on assiste peut-être au début de la fin du phénomène Poutine. Mais cela peut prendre des années, et une forme violente, avec une fuite en avant nationaliste - surtout après le crime contre Nemtsov. Recueilli par Francis Brochet

 

 

 

 

Poutine, un pouvoir personnalisé

 

Faut-il y voir l'émergence d'une défiance de l'opinion ? Un Russe sur quatre pense que le président entretient un culte de la personnalité. Ils étaient moins de 10 % en 2008.

 

 

 

En 2000, quand à 43 ans, il succède à Boris Eltsine au visage bouffi et au profil ramolli par les vapeurs de vodka, Poutine veut montrer aux Russes qu'ils sont désormais dirigés par un homme, un vrai, viril, moderne, séduisant. L'image, en contraste avec son prédécesseur issu de la Nomenklatura communiste, doit coller avec le discours du chef de guerre Poutine qui promet de "butter les terroristes tchétchènes jusque dans les chiottes".

 

 

 

Dans les télévisions d'Etat et sur un internet encore balbutiant et contrôlable, le jeune président de Saint-Pétersbourg montre aux Russes un profil d'homme providentiel à coups de clips avec des admiratrices en pâmoison, d'apparitions sur les tatamis avec sa ceinture noire, de rappels de sa carrière d'espion au KGB - il était surtout dans les bureaux.

 

 

 

 

Opposants éliminés

 

A ses yeux, seul ce personnage peut incarner la Russie moderne en reconquête de son espace historique. Cela justifie donc la neutralisation des opposants. Derrière l'assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa en 2006, du milliardaire Boris Beretzoski à Londres, les Occidentaux voient déjà la main de fer du nouveau maître du Kremlin.

 

 

 

L'opposant le plus médiatique, l'ex-champion d'échecs Gary Kasparov, finit par s'exiler sous la pression de la peur. Il n'est pas le seul. A Moscou, 13 animateurs du groupe Facebook qui traquent sans relâche les dépenses du parti Russie Unie de Poutine sont carrément emprisonnés.

 

 

 

Fréquences de radios opposantes coupées, gouverneurs de province évincés pour critiques, universitaires rétrogradés : les cadres des partis opposants ont la vie dure et la parole muselée. Même Tatiana Diatechenko, la fille d'Eltsine, est exfiltrée du Kremlin. Sur un blog, elle rappelait que les dirigeants ne sont pas des surhommes.

 

 

 

Car lorsqu'en 2008, la constitution le contraint à redevenir Premier ministre après deux mandats, Poutine sculpte carrément un personnage de super-héros en même temps que sa silhouette de sportif. Il apparaît lors d'une partie de pêche en Sibérie avec Albert de Monaco torse nu en mode Rambo, biceps tendus, pectoraux en avant. Au stand de tir, il pose façon 007, cravate, costume, tête droite, pistolet vers le ciel parallèle à la tempe.

 

 

 

Quand les forêts brûlent, Poutine pilote un bombardier d'eau. Quand une oeuvre de charité organise un gala, il se met au piano. Poutine à cheval dans la steppe, Poutine skieur facile en plein Jeux de Sotchi, Poutine sur une Harley Davidson à Moscou, Poutine en Formule 1 rouge à 240 km/h... La propagande finit par se voir.

 

 

 

Impitoyables et incontrôlables, les réseaux sociaux dénoncent montages et trucages comme cette plongée où on le voit remonter deux amphores qui n'auraient jamais dû se trouver à cet endroit. Le dernier exploit de Poutine est à l'image de cette légende guignolisée sur les réseaux sociaux : Kuzya, la tigresse de Sibérie, qu'il aurait lui-même maîtrisée et capturée pour la relâcher, a quitté la Russie en novembre. Elle est passée en Chine où elle sème la zizanie. La légende Poutine lasse. Qu'en sera-t-il de cette personnalisation du pouvoir et des disparitions d'opposants ? Pascal Jalabert

 

 



01/03/2015
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 59 autres membres