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L'AIR DU TEMPS

CONSCIENCE

 

Article de la Tribune - le Progrès du dimanche 15 juin 2014

 

 

L'entretien du dimanche - Jonathan NOSSITER

 

 

"Il n'y a pas de progrès sans enracinement dans le passé"

 

 

Dix ans après Mondovino, en compétition à Cannes en 2004, le cinéaste Jonathan NOSSITER, oenologue cosmopolite et polyglotte, continue de tracer sa route des vins avec "Résistance naturelle", en compagnie de vignerons rebelles, garants d'une tradition et d'un terroir.

 

 

 

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Pourquoi, dix ans après votre documentaire critique sur le monde du vin, donner la parole à des vignerons indépendants, qui sont un peu le rêve d'une paysannerie éclairée ?

 

 

Résistance naturelle est un film que je ne pensais pas faire. Il est né d'une rencontre en Toscane avec des vignerons et le directeur de la cinémathèque de Bologne, au sujet des "journées de l'illégalité". Cette manifestation doit se dérouler à Bologne, en Italie, cet automne, où l'on va réunir une centaine de paysans avec des produits traditionnels, de la charcuterie, des céréales, du vin, des oeufs, etc. Des produits qui expriment une tradition locale mais qui sont devenus illégaux, à cause de Bruxelles.

 

 

 

"Nous sommes confrontés à la survie de l'espèce humaine" (Jonathan Nossiter)

 

 

 

Comment des produits peuvent-ils être illégaux ?

 

Au moment où j'ai fait Mondovino, nous étions encore dans des préoccupations sociales et politiques encadrées dans les termes de l'après-guerre. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à la destruction de la planète, donc à la question de la survie de l'espèce humaine. Nous faisons face à la barbarie et nous sommes tous conscients que la destruction de la civilisation est possible si on ne régit pas, chacun et de manière profonde. La crise ouvre bien une nouvelle ère, un nouvel ordre social, économique et politique.

 

 

 

Que vous inspire la condamnation par le tribunal correctionnel de Dijon d'Emannuel Giboulot, ce viticulteur bio de Côte-d'Or qui avait refusé de traiter chimiquement ses vignes. contre une grave maladie ?

 

 

Les forces économiques des plus puissants font les lois. Les lois sont faites avec la complicité des lobbies de l'industrie chimique et pharmaceutique. Les directives sont pilotées par des lobbies industriels qui ne veulent rien savoir de la tradition, de la qualité, de l'engagement d'un artisan.

 

Beaucoup de ces artisans insoumis ont des problèmes et se retrouvent ainsi en marge de la loi parce qu'ils ne se plient pas aux normes et suivent des traditions de production qui  ne servent pas les intérêts de l'industrie. Ils gênent parce qu'ils touchent à des grands intérêts. Plus ils prennent de la place, plus ils existent, plus ils sont une menace et plus cela risque de devenir violent.

 

 

 

 

Les vignerons italiens de Résistance naturelle agissent en héritiers d'une culture historique. Vous-même mettez en parallèle la nécessité d'un cinéma d'auteur qui a de la mémoire, et s'inscrit dans l'histoire. Vous ne craignez pas d'apparaître comme passéiste ?

 

 

Je ne suis pas passéiste. Il n'y a pas de progrès sans enracinement dans le passé. Il y a un fascisme sous-jacent de notre époque, qui est la destruction de nos racines, de notre conscience historique, de nos liens, au bénéfice de projets servant les industriels. On ne peut s'engager dans l'écologie environnementale si on n'a pas conscience de la disparition de la civilisation.

 

 

 

La culture vous paraît-elle aussi menacée que le vin naturel ?

 

 

La culture est aussi menacée que la planète elle-même, et envisager l'un sans l'autre cela n'a pas de sens. La place de la culture, de la transmission de l'histoire dans les gestes quotidiens, les actes agri-culturels et culturels, ce n'est pas simplement une question de mutation de formes. Le système néolibéral existe et prospère dans le creux culturel. Dans ce système, on transforme le citoyen en consommateur, et la culture devient un produit comme un autre, qui ignore la mémoire et la conscience. Ce n'est pas un hasard si les AOC, aujourd'hui en Italie, effacent les traces de toutes les vraies origines.

 

 

 

Quelle leçon apprend-on des vignerons aux modes de production    insoumis ?

 

Ils éveillent les consciences. Quand on commence à boire des bons vins, à manger des produits qui ont de la vitalité, on ressent un changement profond. Quand on n'est pas bien nourri, quand on est fragilisé et précarisé, on commence à avoir peur et on perd le rôle contestataire, on arrête de réfléchir et on commence à se soumettre. C'est ce qui arrive aujourd'hui.

 

 

Passolini l'a dit dès 1974 : la société de consommation dite démocratique a réussi là où le fascisme a échoué, à homogénéiser les citoyens et à les soumettre à son système. Dans ces conditions, ces vignerons rebelles, éthiques, son un vrai miracle. Ils vivent une belle vie et sont un modèle de joyeuse résistance à un système failli. Propos recueillis par Nathalie Chifflet

 

 

 

2004 - Le document Mondovino, tour du monde des vignobles et pamphlet contre la normalisation du goût, marque son entrée dans la compétition officielle au festival de Cannes.

 

 

 

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16/06/2014
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