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L'AIR DU TEMPS

le Progrès du mercredi 12 août 2015

 

 

 

TERRORISME – Les crises turques, une bombe à retardement. L'aviation turque a bombardé les séparatistes kurdes. Pays clé dans la lutte contre Daech et la question des migrants, la Turquie est secouée par une crise politique, économique et de nouveau par la question kurde. L'Occident ne peut se permettre une défaillance de cet allié.

 

 

 

700 000 C'est le nombre de soldats qui composent l'armée turque. Parmi ceux-ci, 50 % de conscrits. En effet, le service militaire demeure un passage obligé pour tous les jeunes hommes du pays. Aguerrie et bien équipée, l'armée turque est l'une des principales forces militaires du Moyen-Orient.

 

 

 

"Nous continuerons notre combat jusqu'à ce que les armes soient déposées et qu'il ne reste plus un seul terroriste à l'intérieur de nos frontières. Nous ne faisons pas de différence entre les organisations terroristes". Recep Tayyip Erdogan, Président truc

 

 

 

Les avions de combat F-16 de l'armée turque ont bombardé 17 cibles, hier dans des villes du sud-est du pays, peuplées de sympathisants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et de militants présumés du groupe clandestin d'extrême gauche DHKP (Front révolutionnaire de libération des peuples).

 

 

 

En même temps, les F-16 de l'armée américaine ont pris position sur la base d'Incirlik au sud du pays. Le gouvernement turc répliquait par ces raids à une série de nouveaux attentats particulièrement meurtriers (six policiers et un soldat tués) attribués aux Kurdes. Les jets américains s'installent en vertu d'un accord passé entre Washington et Ankara, adhérent à l'OTAN depuis l'origine, pour lutter contre Daech après l'attentat du 20 juillet qui tué 32 civils turcs.

 

 

 

Crise politique et économique

 

Comme souvent dans l'histoire, la position de trait d'union entre Europe et Orient place la Turquie au coeur de toutes les crises internationales et alimente les crispations internes au pays.

 

 

 

La question kurde ressurgit en pleine crise politique. Lors des législatives du 7 juin, le parti islamo-conservateur (AKP) du président Recep Tayyip Erdogan a perdu la majorité absolue.

 

 

 

 

Les négociations pour former une coalition avec les socio-démocrates avant le 23 août, date limite avant la dissolution, butent sur la volonté de présidentialisation du régime d'Erdogan, accusé de dérive autoritaire et monarchique dans son immense palais de marbre blanc (200 000 m2, 1 001 pièces, pour un coût de 280 m€). "Nous ne faisons pas de différence entre les organisations terroristes" a dit hier Erdogan assimilant ainsi les mouvements kurdes à l'Etat islamique.

 

 

 

 

L'opposition soupçonne de créer un chaos politique et de réveiller le sentiment anti-kurde pour provoquer de nouvelles élections et détourner l'attention du bazar économique.

 

 

 

A l'image de la fréquentation touristique en chute libre (4 % du PIB) et de ses exilés d'Allemagne notamment qui investissent de moins en moins dans leur pays d'origine (- 16 % en 2014), les moteurs d'une croissance située entre 4 % et 6 % de 2011 à 2014 se grippent. L'inflation caracole à 6 %. Le chômage remonte en flèche, l'objectif de 3 % de croissance pour cette année vacille.

 

 

 

 

Djihadistes et passeurs de migrants pas inquiétés

 

Les Etats-Unis et l'Europe en tout cas ne vont pas décourager Erdogan même si sa rupture avec un siècle d'habitudes laïques et démocratiques de la Turquie kemaliste déplaît.

 

 

 

La Maison Blanche et l'UE ont appelé à la retenue mais ont affirmé "comprendre les inquiétudes sécuritaires du gouvernement". La Turquie a enfin rectifié et clarifié sa position dans la guerre contre l'Etat islamique.

 

 

 

Depuis les tourelles de ses chars d'assaut postés à la frontière, sa puissante armée a regardé à la jumelle Daech prendre puis perdre Kobané, la ville-frontière syrienne. Erdogan et l'opinion enrageaient de voir les occidentaux armer et conseiller les milices "peshmergas" kurdes en Irak faute d'autre solution. D'où une certaine mansuétude envers Daech. Ainsi les djihadistes européens transitent par la Turquie, aiguillés par des passeurs rarement contrariés par les douaniers turcs.

 

 

 

Erdogan ou le chaos

 

La police n'embête pas davantage les mafias locales qui depuis les côtes de la Mer Egée jettent migrants afghans et soudanais sur les îles grecques voisines. Plus de 210000 migrants ont emprunté cette voie depuis janvier, 34 000 de plus qu'à Lampedusa.

 

 

 

Sur ces deux dossiers brûlants, sans une Turquie stable, en croissant et soutien de la coalition anti-Daech, les efforts américains et européens resteront vains. En cas de chaos, le risque d'attentats terroriste et le flux de migrants augmenteront inexorablement chez nous. C'est le message qu'envoie Erdogan en frappant les kurdes. Pascal Jalabert

 

 

 

 

 

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Une république laïque 

 

La Turquie compte 74 millions d'habitants. Les principales villes sont Istanbul (11 millions d'habitants), la capitale Ankara (4 millions) et Izmir (3,7 millions). La république, laïque, a été fondée le 29 octobre 1919. Depuis 2002, le parti islamo-conservateur AKP de l'actuel président Erdogan est au pouvoir.

 

 

 

Une population musulmane

 

La majorité de la population est musulmane sunnite, mais le pays comprend une importante minorité musulmane alévie (environ 20 %). Il existe aussi des minorités chrétiennes (grecs orthodoxes, rites arméniens grégoriens, syriaques, catholiques latins) et juives. Les Kurdes représentent 16 % de la population, forment la principale minorité ethnique. Musulmans eu aussi, leurs revendications sont étouffées.

 

 

 

Une économie moins dynamique

 

Le PIB de la Turquie était de 741 milliards d'euros en 2013, ce qui en faisait la 17e puissance économique mondiale. En 2014, le taux de croissance de la Turquie a été de 2,9 %. Une bonne performance, qui marque toutefois un certain ralentissement. En 2010 et 2011, elle avait été de + 9,2 % et + 8,8 %. La dette publique turque n'est que de 36,3 % du PIB en 2013.

 

 

 

Le tourisme, victime collatérale

 

Un littoral immense, des reliefs du bout du monde et un patrimoine culturel unique. Ce n'est pas pour rien que la Turquie a été la sixième destination mondiale la plus visitée en 2014, avec quelque 40 millions de touristes reçus. Sauf que la situation politique rattrape désormais la filière. Sur le premier semestre de 2015, la baisse des revenus touristiques a été de 13,8 %, selon l'Institut turc de la statistique. Et les Français n'ont pas attendus les derniers événements pour se détourner du pays. Ils étaient jusque-là environ un million à s'y rendre chaque année. Fin juin, les tour-opérateurs du Seto anticipaient déjà une baisse de 40,8 % de l'activité estivale.

 

 

 

«Vigilance renforcée »

 

Richard Soubielle, vice-président du Sydicat National des Agents de Voyages (SNAV), estime que les ressorts de cette indéniable désaffection sont avant tout psychologiques. Il identifie trois causes principales : « D'abord, il faut savoir que tous les pays arabo-musulmans sont boudés. Mais il faut ajouter à cela la proximité du conflit syrien et les prises de position du gouvernement Erdogan, qui peuvent choquer les Français ».

 

 

 

Sur son site internet, le ministère des Affaires étrangères ne déconseille pas aux voyageurs de se rendre sur place, mais recommande une « vigilance renforcée ». Les tour-opérateurs aussi restent vigilants. Les chiffres définitifs de la saison estivale tomberont fin août. Les décisions concernant la programmation des destinations turques seront prises au dernier trimestre. Le temps d'observer si la situation se décante. Ryad Benaidji

 

 

 

 

Les Kurdes, prisonnier de leur histoire

 

Les Kurdes - environ 35 à 40 millions de personnes dans le monde - sont un peuple ostracisé par l'histoire. Descendants de l'empire des Mèdes, ils sont à cheval sur quatre pays du Moyen-Orient : la Turquie, la Syrie, l'Irak et l'Iran. C'est leur grande faiblesse.

 

 

 

Après la Première Guerre mondiale, qui a vu l'éclatement de l'empire ottoman (turc) allié de l'Allemagne et de l'Autriche, ils espéraient créer leur propre pays avec l'aide des alliés. Les Anglais et les Français le leur avaient promis. Mais Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne, a réussi à empêcher cette amputation supplémentaire d'un territoire déjà dépecé au profit de pays créés de toutes pièces par les accords franco-anglais Sykes-Picot sur son empire perdu : Syrie, Irak, Liban...

 

 

 

Depuis, la guérilla kurde en Turquie, où se trouve la principale communauté kurde (12 à 15 millions), n'a jamais cessé. Elle a fait des dizaines de milliers de morts, surtout dans les années trente et les années quatre-vingt. Mais c'est en Irak que les Kurdes ont percé, grâce aux guerres de Golfe de 1991 à 2003. Dès 1991, le Kurdistan irakien est devenu autonome. Il est aujourd'hui pratiquement indépendant, et se prolonge en Syrie jusqu'à la frontière turque. Ce qui est inacceptable pour le président Erdogan, qui craint la contagion. En s'attaquant au PKK, qui a pourtant décrété un cessez-le-feu avec la Turquie et qui se bat (efficacement) contre Daech, Erdogan montre sa première priorité : pas question de laisser grandir les Kurdes. Patrick Fluckiger

 

 

 

 

 

QUESTIONS à Dorothée Schmid

 

 

Responsable du programme Turquie à l'IFRI

 

 

 

"Erdogan est un fin stratège politique"

 

 

 

La Turquie est-elle au bord du chaos ou Erdogan fait-il le pari du chaos ?

 

Les deux hypothèses ne sont pas incompatibles. Erdogan est soupçonné de vouloir se poser en homme providentiel. Mais la situation peut lui échapper. Il semble pourtant que les acteurs engagés dans les négociations, aussi bien côté turc que Kurde sont conscients de la gravité de l'engrenage qui s'enclenche.

 

 

 

 

Et qu'en est-il du côté de l'EI ?

 

On ne sait pas si la guerre est vraiment déclarée. L'apport logistique de la Turquie à la coalition est énorme, avec la mise à disposition de la base d'Incirlik. Mais, pour l'heure, il n'y a pas eu beaucoup de frappes aériennes contre l'EI dans le nord de la Syrie.

 

 

 

 

L'Otan est-il pris au piège de cette guerre entre Ankara et le PKK ?

 

Tout porte à croire qu'un deal a été conclu entre les Etats-Unis et la Turquie : mains libres contre le PKK en échange d'un engagement contre l'EI. Reste à savoir si cet accord ne se noue pas dans le dos des autres partenaires de l'Otan, notamment les Européens. La stratégie dans le conflit syrien doit être concertée, sinon il y a un risque d'escalade...

 

 

 

 

Au final, Erdogan est-il un atout ou un danger ?

 

Sa pratique de la démocratie est de plus en plus autoritaire. Il joue avec les limites. Mais il est indéniable qu'il a apporté de la stabilité politique, économique et sociale au pays. Paradoxalement, il a aussi fait avancer les droits des Kurdes. Aujourd'hui, il semble avoir atteint des limites. Comme s'il reprochait aux Kurdes d'avoir marché sur ses plates-bandes électorales lors du dernier scrutin législatif. Il se sent propriétaire de la Turquie. Face à lui, les partis manquent d'une stratégie politique cohérente et il a su en jouer pour les marginaliser. Force est d'admettre qu'Erdogan est un fin stratège politique. Propos recueillis par Ryad Benaidji

 

 



13/08/2015
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