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L'AIR DU TEMPS

le Progrès du dimanche 22 novembre 2015

 

 

 

 QUESTIONS à Jean-François BAYART

 

 

Professeur à l'IHEID (Institut de hautes études internationales et du développement) de Genève

 

 

 

 

"Des décennies d'erreurs"

 

 

 

 

 

Paris, Bamako... Pourquoi cette succession d'attentats ?

 

Il n'est pas évidemment pas question de relativiser ni d'excuser, mais il faut comprendre qu'ils sont, pour partie, la résultante de toute une série d'erreurs commises de manière bi-partisane depuis une quarantaine d'années. Nous payons ainsi le prix de la démission sur la question palestinienne, qui a créé une rancoeur extraordinaire dans le monde arabe ou musulman à l'encontre de l'Occident, sur le thème "deux poids, deux mesures".

 

 

 

 

Une autre erreur ?

 

L'alliance stratégique avec les pétromonarchies du Golfe. Elle a été conclue dans les années 1970-80, pour des raisons mercantiles. Dans le même temps, nous avons fermé les yeux sur leur implication dans la propagande salafiste, tant au Moyen-Orient qu'en Afrique. Cela au moment même où nous avons réduit l'aide publique au développement, et contraint ces Etats, notamment africains, à disloquer leurs services de santé et d'éducation, sous prétexte de réductions de la dépense publique. Cela a libéré l'espace à des organisations islamiques, qui ont ouvert des écoles et créé des centres de soins. Après on a dénoncé la "réislamisation" de l'Afrique de l'Ouest, mais on lui avait offert une voie royale.

 

 

 

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Pourquoi hésiter à parler de "réislamisation" ?

 

Ces sociétés ont toujours été musulmanes. Il s'agit plutôt d'une dislocation de l'Etat et des institutions, au profit d'institutions islamiques, spécialement islamo-salafistes... Encore une erreur, le soutien à la guerre d'agression de l'Irak contre l'Iran, à la fois pour complaire aux monarchies du Golfe, et parce qu'on a surestimé le danger de la révolution islamique iranienne. On s'est aliéné l'un des rares Etats structurés de la région avec la Turquie, dont nous avons maintenant besoin pour sortir de la guerre civile en Syrie.

 

 

 

 

En Syrie, que penser de l'alternative Daech ou Bachar ?

 

Souvenons-nous que Daech est un produit de l'intervention américaine de 2003. A l'origine, Daech est baasiste (mouvement panarabiste, né en 1947 à Damas), autant que djihadiste, constitué d'anciens membres de la police secrète du Baas irakien de Saddam Hussein. D'où le projet de constitution d'un Etat. "l'Etat islamique", avec une organisation très centralisée... Ensuite Assad a joué la carte de Daech, pour affaiblir l'Armée de libération syrienne et s'affirmer face aux Occidentaux comme seul rempart laïc contre Daech. Et il n'est pas impossible qu'Assad réussisse ce qu'avaient déjà réussi en 1990 les militaires algériens avec le Front islamique du Salut (FIS) : écraser dans le sang une révolution politique et sociale, en instrumentalisant l'islamisme.

 

 

 

 

Comment expliquer ces djihadistes européens ?

 

Ce n'est pas une logique islamique : dans les années 1790, ils auraient rejoint Action directe ou la bande à Baader... Aujourd'hui, quand vous êtes jeune avec des tendances radicales, et rien à perdre, vous avez deux offres idéologiques simples et visibles : l'offre djihadiste, qui donne à nombre d'anciens délinquants une sorte de discipline de vie, et une reconnaissance, et l'offre d'extrême droite, avec le même kit identitaire et des solutions simples à tous les problèmes. Ces deux offres prospèrent dans toute l'Europe... Recueilli par Francis Brochet

 



22/11/2015
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