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ESPACE - Ariane réussit son 75e lancement. La fusée européenne a décollé de Kourou, en Guyane française, dans la nuit de jeudi à vendredi. A kourou, chaque tir du gros lanceur d'Arianespace est un évènement. D'autant plus quand il a lieu de nuit, comme jeudi soir.

Un déchaînement de feu éblouissant, un bruit qui provient, grave et assourdissant avec un décalage de quelques seconde, des vibrations qui vous prennent aux tripes. Ca y est, Ariane est partie. Elle s'élève, droit pendant quelques secondes, puis s'incurve vers l'Est, au-dessus des îles du Diable, qui ont été évacuées pour le lancement, comme d'habitude.

Le grondement est terrifiant, au cœur de la base spatiale de Guyane, à Kourou, noyé dans la fumée et la vapeur d'eau. Nous sommes sur l'observatoire Toucan, le plus proche du pas de tir, à cinq kilomètres tout de même de la fusée. La vue est exceptionnelle.

Moins de deux minutes après le lancement, nous voyons distinctement la traînée rouge qui se rapetisse faire des petits. Les deux boosters d'appoint viennent d'être séparés du lanceur, déjà hors de l'atmosphère, à une altitude de plus de 150 km.

Ce n'est pourtant pas encore le moment de se féliciter : Ariane continue sa course. Elle ne pourra se séparer de ses deux charges que bien plus haut, à près de 900 km d'altitude pour les six tonnes du satellite de télécommunications malaisien Measat 3b, à plus de 1 800 km pour les trois tonnes de l'Australien Optus 10.

Dans la salle de commande Jupiter, les ingénieurs restent concentrés sur leurs pupitres. E les invités, crispés derrière la vitre du bocal. "On ne se détendra qu'au bout de 36 minutes, avec le largage, en douceur, d'Optus 10. On lève le pouce on s'embrasse. Nous venons de réussir le 75e lancement d'Ariane 5 et la centième mise en orbite d'un satellite géostationnaire", comment Stéphane Israël, le patron d'Arianespace. Les discours se succèdent. Routine...

Routine ? Pas vraiment. "Jeudi soir, le compte à rebours a été interrompu par deux fois dans les vingt dernières minutes précédant le lancement. Nous avons déjà construit 110 satellites pour Arianespace", explique un dirigeant d'Airbus Défence & Space (ex-Astrium). Et pourtant chaque tir est différent.

On atteint à chaque fois les limites. Tout peut arriver, et la moindre erreur est fatale. Ce soir le compte à rebours a été interrompu la deuxième fois parce qu'une station radar de poursuite au sol  n'avait pas réinitialisé ses données après le premier arrêt.

Le retard de trois quarts d'heure provoqué par l'incident a permis un tir de nuit, alors qu'à l'heure initiale le soleil brillait encore. De quoi ravir les spectateurs. En Guyane, on peut assister gratuitement aux tirs d'Arianespace, à condition de s'inscrire. Marguerite, qui habite à Cayenne, à 60 km de Kourou, en profite régulièrement.

Là, elle a eu de la chance. Elle s'était inscrite pour un lancement en octobre, mais un désistement lui a permis d'assister à celui de jeudi : "De nuit en plus, c'est génial". Patricia, une Vosgienne de Vittel, qui habite en Guyane depuis 1892, est venue avec sa fille Marjorie, étudiante en espagnol à Nanterre. "Je suis en vacances en Guyane, j'en profite. J'espère qu'ils pourront tirer ce soir, confie Marjorie lors d'une interruption du compte à rebours. Je repars demain".

A côté de nous, un accent suisse-allemande inattendu : ils sont quatre à être venus de Zurich, à l'invitation de la famille. La Suisse est partie prenante du programme Ariane : ce sont des Suisses qui fabriquent la coiffe en carbone qui protège les satellites.

Ariane n'est pas seulement "l'équipe de France qui gagne", comme l'a souligné le ministre de l'Economie Emmanuel Macron dans un message télévisé, c'est surtout un pack européen qui déborde largement des frontières de l'UE. Des satellites européens sont également tirés par des fusée Soyouz mises en œuvre par des équipes russes. A Kourou, on est à mille lieues des tensions à propos de l'Ukraine. Et pas seulement sur le plan géographique. Ici, le rêve spatial soude les équipes. On travaille en continu.

Il faudra encre quelques semaines pour que les deux satellites lancés jeudi atteignent leur destination fixe, à 36 000 km de la Terre. "C'est comme un bébé qui vient de naître, relève Arnaud de Rosnay, le patron de la division télécommunications d'Airbus DS. Il faut maintenant le mener à l'autonomie".

D'autre "naissances", déjà se préparent. En octobre, Ariane lancera le premier satellite de télécoms argentin. "Nous allons battre en 2014 notre record de lancement", se félicite Stéphane Israël : "Nous vivons une année exceptionnelle". A Kourou, Patrick Fluckiger