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L'AIR DU TEMPS

Franceinfo - le samedi 18 avril 2020

 

 

Le coronavirus qui "risque de coûter aux pays africains entre 5 et 10 points de PIB" relance le débat sur la dette du continent

 

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Laurent Ribadeau DumasRédaction AfriqueFrance Télévisions

 

 

Tout en étant très touché par une crise économique sans précédent liée à l’impact du coronavirus, l'Afrique supporte un endettement de plus de 300 milliards de dollars. Explications de Thomas Mélonio, de l'Agence française de développement

 

 

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Une femme porte un masque dans une rue du township d'Alexandra, à Johannesburg, en Afrique du Sud, le 15 avril 2020. (JEROME DELAY/AP/SIPA / SIPA)

 

 

 

Avec l’irruption du Covid-19, de nombreux pays africains sont plongés dans une grave crise sanitaire, mais aussi économique et sociale. Une situation d’autant plus critique que nombre d’entre eux sont déjà très endettés. Les grands créanciers internationaux ont annoncé un moratoire de la dette pour 12 mois. Ce qui va permettre aux Etats en difficulté de consacrer immédiatement des moyens budgétaires supplémentaires à la lutte contre cette crise. Les explications de Thomas Mélonio, directeur exécutif de l’innovation, de la recherche et des savoirs à l’Agence française de développement (AFD).



Franceinfo Afrique : Emmanuel Macron a parlé, le 13 avril, d’annuler "massivement" la dette des pays africains. De leur côté, les ministres des Finances et gouverneurs des banques centrales du G7 et du G20  se sont dits favorables à une suspension de la dette, mais pas à une annulation. N’y a-t-il pas là une contradiction ?

 

Thomas Mélonio : il faut savoir que l’Afrique va être assez fortement frappée par la crise du Covid-19. Elle va l’être évidemment au niveau sanitaire. Mais elle va l’être aussi au niveau économique. Elle risque d’être touchée à trois niveaux. Il y a d’abord eu une fuite des capitaux : depuis février, 90 milliards de dollars ont quitté les pays en développement. Cinq fois plus qu’en 2008 ! Alors que dans l’état actuel des choses, ces pays ont besoin d’emprunter pour faire fonctionner leurs services publics, notamment sanitaires.

 

 

Le second choc intervient pour le tourisme. Pour le Maroc, par exemple, cette activité représente 10% du PIB, avec un pourcentage équivalent pour l’emploi. Le troisième choc, c’est la division par deux du prix du baril de pétrole. Ce qui handicape les pays producteurs : Angola, Nigeria, Gabon… Mais le phénomène frappe l’ensemble du secteur des matières premières et a des conséquences pour des pays comme l’Afrique du Sud ou la Zambie. Au final, cette crise risque de coûter aux pays africains entre 5 et 10 points de PIB. Soit entre 130 et 150 milliards de dollars de revenus en moins en 2020 pour l’ensemble du continent.

 

 

 

Personnel sanitaire à l\'hôpital Charlotte Maxeke à Johannesburg le 15 avril 2020

Personnel sanitaire à l'hôpital Charlotte Maxeke à Johannesburg le 15 avril 2020 (MICHELE SPATARI / AFP)



On a effectivement annoncé un moratoire sur le service de la dette externe, laquelle représente 32 milliards. La mesure concerne 76 pays, dont 40 pays africains, et porte sur une somme de l’ordre de 20 milliards d’euros dont les échéances sont reportées à plus tard. Tous les créanciers ont accepté : bilatéraux (Etats… NDLR), qui prêtent sur des durées longues, multilatéraux (FMI, Banque mondiale, banques de développement comme la Banque africaine de développement…), privés (banques, entreprises, gestionnaires de fonds… NDLR). Les créanciers privés, qui prêtent sur le court terme, représentent 25% du stock de dettes. Eux aussi ont accepté, car ils savent que sinon ils ne seront pas remboursés. Reste donc en suspens 12 milliards d’euros pour lesquels les créanciers multilatéraux n’ont pas encore dit oui à un moratoire.



Ce moratoire est une réponse pour 2020 : il permet de repousser les échéances et d’apporter des liquidités supplémentaires aux Etats, qui vont avoir besoin de beaucoup d’argent. Mais il n’est pas suffisant en raison de l’ampleur du choc actuel : la perte de revenus est cinq fois supérieure au poids de la dette. Dans ce contexte, la suspension de celle-ci est une mesure de très court terme.

 

 

 

Et pour un plus long terme ?

 

Il est donc nécessaire de chercher d’autres ressources pour trouver une réponse globale à la crise du coronavirus. Il y a des enjeux sanitaires immédiats. C’est ce à quoi travaille l’AFD en montant des projets avec l'Inserml'Institut Pasteur, la fondation Mérieux, des centres de recherche, des cliniques... Et puis se pose la question de l’après 2020. Il faut voir que les prévisions, notamment du FMI, s’attendent, pour l’année 2021, à une conjoncture supérieure à celle de 2019, notamment en Afrique. Ce qui alimente la réflexion de savoir s’il faut envisager d’annuler entièrement ou partiellement une dette dont le stock total s’élève à plus de 300 milliards de dollars pour l’ensemble du continent.



En fait, tout dépend des pays : certains seront viables et solvables, d’autres seront dans l’incapacité de financer des investissements. Dans l’état actuel des choses, on observe une crise de la solvabilité dans 25 à 30 pays. La décision d’annulation totale ou partielle se fera en fonction de la situation de chacun. Une annulation totale peut intervenir pour des pays dont la dette n’est plus viable.

 

 

La réflexion est d’autant moins simple que l’univers financier est très complexe. Aujourd’hui, avec l’arrivée de la Chine, des pays du Golfe, du Brésil, des banques de développement, il y a beaucoup plus de bailleurs de fonds qu’avant… Sans compter les acteurs privés. Tous ont accepté le moratoire. Mais pour l’avenir, il s’agira de discuter d’annulation. Et là, je m’attends à une discussion serrée !

 

 

 

Comment voyez-vous la situation africaine dans le contexte d’une sortie de crise ?

 

 

Opération de désinfection dans un marché de Nairobi au Kenya le 15 avril 2020

Opération de désinfection dans un marché de Nairobi au Kenya le 15 avril 2020 (LUIS TATO / AFP)

 

 

 

L’adage explique qu’une crise renforce les forts et affaiblit les faibles ! Les pays endettés, les pays pétroliers, ceux qui vivent du tourisme vont connaître une situation difficile et en payer la facture pendant plusieurs années. Des pays à l’économie diversifiée, comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, s’en sortiront mieux. Ceux qui n'ont pas mis tous leurs œufs dans le même panier.

 

 

 

Comme l’a dit lui-même le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, les annulations de dette se feront donc "au cas par cas". Mais n’est-ce pas en contradiction avec l’annonce, le 8 avril, par le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, d’une aide à l’Afrique de "près de 1,2 milliard d'euros", dont 1 milliard de prêts et 150 millions de dons ? Ne risque-t-on pas d’alourdir l’endettement ? Et pourquoi cette différence entre dons et prêts ?

 

 

Les pays que nous jugeons viables obtiendront des prêts remboursables, pour ceux qui ne le seront pas, nous ne faisons que des dons. C’est le point de vue de l’Etat français. L’effort est réparti. Les dons ne seront évidemment pas remboursés. Les prêts, qui sont bonifiés par l'Etat, c’est-à-dire à des taux très inférieurs à des taux commerciaux, permettront d’engager dès maintenant davantage d’argent pour financer davantage d’actions sanitaires et sociales, même si évidemment ils devront être remboursés plus tard.

 

 

Finalement, les pays trop endettés, parce que leur dette n’est déjà plus viable, n’auront que la partie don, mais auront le plus grand mal à financer le reste des besoins. Nous essayons de compenser en leur faisant des dons un peu plus importants, mais être privé de l’accès au crédit, qu’il soit public ou privé, est un gros problème pour un Etat, car très rares sont les pays qui financent leurs investissements sur le budget propre.

 

 

 

Certains pensent que face à la crise du coronavirus, la France ferait mieux de garder son argent pour s’occuper de ses infrastructures sanitaires plutôt que d’aider l’Afrique. Que répondez-vous à ce type de critique ?

 

 

Un agent sanitaire prend la température de jeunes sans-abri, confinés en quarantaine, près de Dakar le 10 avril 2020. 

Un agent sanitaire prend la température de jeunes sans-abri, confinés en quarantaine, près de Dakar le 10 avril 2020.  (JOHN WESSELS / AFP)

 

 

 

Tant que le virus circule en Afrique, il est susceptible de revenir en France et de provoquer une nouvelle vague. Il faut s’assurer qu’il soit sous contrôle partout, sur le continent comme ailleurs. De notre part, c’est donc un argument égoïste ! Mais il y a aussi un niveau de solidarité nécessaire. Il s’agit notamment d’aider des populations sur un continent où la maladie présente des risques énormes pour les cas de comorbidité (personnes souffrant de plusieurs maladies à la fois, NDLR).

 

 

 

Et que dire à ceux qui évoquent les problèmes de corruption, des aides qui seraient détournées, versées sans contrôle ?

 

Ce n’est pas vrai qu’il n’y a pas de contrôle. A l'AFD, tous les projets sont soumis à des demandes d’audit. Pour les prêts au niveau international, les mécanismes de contrôle ont été institués par le FMI. Quand on apporte des fonds, il faut par ailleurs savoir comment toucher les populations les plus vulnérables. Pour ce faire, à l’AFD, nous, nous nous efforçons de trouver sur le terrain des acteurs aptes à répondre sur les plan sanitaire et social. Que ce soit des entreprises privées, des banques, des ONG, des institutions de microfinance...

 



18/04/2020
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