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L'AIR DU TEMPS

Franceinfo - le dimanche 31 mai 2020

 

 

Etats-Unis : Donald Trump peut-il réguler Twitter et les autres réseaux sociaux, comme il affirme vouloir le faire ?

 

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Le président américain veut empêcher les plateformes de signaler les mensonges dans les tweets, à commencer par les siens. Mais la mesure pourrait avoir pour effet inverse de forcer les réseaux à modérer plus strictement les propos

 

 

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L'avertissement affiché par le réseau social Twitter au-dessus d'un tweet de Donald Trump, publié le 29 mai 2020, prévenant que le message "viole les règles" du réseau social en "glorifiant la violence". (JAAP ARRIENS / NURPHOTO)

 

 

 

Celui qui est sans doute le chef d'Etat le plus adepte de Twitter au monde a-t-il les moyens de s'en prendre au réseau social ? Donald Trump a signé jeudi 28 mai un décret visant à dissuader le site, et les réseaux sociaux en général, de statuer sur la véracité ou non des messages qui y sont postés, sous peine d'être tenus responsables devant la justice du contenu des messages qu'ils autorisent. Plus tôt, il avait même menacé de les "fermer" s'il était impossible de les réguler.

 

 

Une mesure décidée en réaction au fait que, pour la première fois, des messages postés par le président américain au sujet du vote par courrier ont été signalés comme trompeurs par la plateforme. Depuis, Twitter a également masqué un tweet de Donald Trump pour "apologie de la violence" "Quand les pillages démarrent, les tirs commencent", écrivait ce dernier au sujet des émeutes qui ont éclaté à Minneapolis après la mort de George Floyd. Alors que le conflit entre Twitter et le milliardaire ne faiblit pas, franceinfo s'est demandé si ces menaces visant les plateformes pouvaient réellement être mises à exécution.

 

 

 

Légalement, les experts en doutent

Si Donald Trump était allé jusqu'à menacer, mercredi, de "fermer" les réseaux sociaux, le décret qu'il a signé jeudi ne va pas aussi loin. Il s'attaque en revanche à un texte-clé du droit américain sur internet, la section 230 du "Communications decency act". Datant de 1996, elle a pour double effet d'exonérer les plateformes en ligne toute responsabilité légale pour les propos tenus par les utilisateurs (on ne peut pas attaquer Twitter en diffamation pour le contenu d'un tweet, par exemple), et de leur donner le droit de modérer ces propos selon leurs propres règles, même quand ceux-ci entrent dans le cadre de la loi américaine.

 

 

Le décret signé par Donald Trump vise à retirer cette immunité légale aux plateformes qui "censurent les opinions avec lesquelles elles sont en désaccord", et demande l'élaboration d'une nouvelle réglementation en ce sens, qui remplacerait le texte actuel de la section 230.

 

 

Mais la solidité juridique de cette mesure a été largement mise en doute par plusieurs experts du droit américain. Tout d'abord, ce décret "est inconstitutionnel dès le départ, puisqu'il a été pris en représailles" à la décision de Twitter de vérifier les tweets du président américain, explique Jameel Jaffer, professeur de droit à l'université de Columbia, au National Law Journal.

 

 

Plusieurs experts expliquent par ailleurs qu'une telle loi ne peut pas être modifié par un simple décret du président. Et qu'en cas de litige, les tribunaux continueraient sans doute d'appliquer la section 230. "C'est difficile de savoir quoi en penser", résume Kate Klonick, professeure de droit à la St John's Univesity interrogée par le New York Times"parce que vous ne pouvez pas juste signer un décret et revenir, sur un coup de tête, sur vingt-cinq ans d'interprétation de la loi." 

 

 

La mesure "n'a pas d'effet légal et est incohérente avec ce qu'ont dit les tribunaux" dans le passé, acquiesce Daphne Keller, qui enseigne le droit à Stanford, dans un autre article du New York Times. Le décret pourrait même être attaqué au motif qu'il constitue un potentiel abus de pouvoir et une violation du droit constitutionnel des entreprises visées.

 

 

 

Ça ne servirait pas forcément les intérêts de Donald Trump

Le décret de Donald Trump est à double tranchant et, s'il était appliqué, il ne changerait pas forcément le visage des réseaux sociaux dans le sens qu'il espère. "Ironiquement, Donald Trump est un grand bénéficiaire de la section 230", explique Kate Ruane, juriste auprès de l'Union américaine pour les libertés civiles, dans le New York Times. Aujourd'hui, ce texte protège en effet Twitter ou Facebook des poursuites qui pourraient être engagées au sujet des messages de leurs utilisateurs, à commencer par ceux du président des Etats-Unis.

 

 

Quand ce dernier menace les plateformes – qu'il accuse de "censure" – de les punir en leur retirant cette immunité, il prend le risque de les pousser à être plus strictes encore dans leur modération, au risque de s'exposer aux poursuites. Elles "ne prendraient pas le risque légal qu'implique le fait d'héberger les mensonges, propos diffamatoires et menaces de Donald Trump", poursuit Kate Ruane.

 

 

C'est également ce qu'explique un porte-parole de Facebook, cité par le site américain The Hill : "En exposant les entreprises à des poursuites pour tout ce que disent des milliards de personnes à travers le monde, cela pénaliserait celles qui choisissent d'autoriser les opinions controversées, et encouragerait les plateformes à censurer tout ce qui pourrait offenser qui que ce soit".

 

 

Paradoxalement, c'est d'ailleurs dans cette logique que Joe Biden, le futur opposant démocrate de Donald Trump lors de l'élection présidentielle de fin d'année, plaide lui aussi pour la "révocation immédiate" de la section 230 : à ses yeux, l'immunité juridique protège des entreprises à l'image Facebook qui "propagent des mensonges", comme il l'expliquait au New York Times en janvier.

 

 

 

C'est plus une façon de faire pression sur les plateformes

Mais Donald Trump cherche-t-il vraiment à faire appliquer sa mesure ? Certains en doutent, dont Zeynep Tufekci, professeure de sociologie à l'Université de Caroline du Nord et experte de l'impact sociétal des technologies. Sa décision s'adresse à "un public d'une personne : Mark Zuckerberg", argumente-t-elle dans le magazine The Atlantic. Elle estime que, plutôt que d'instaurer un réel contrôle des réseaux sociaux, le président américain veut surtout "s'assurer que le tapis rouge qui lui est déroulé jusqu'ici, en particulier par Facebook, continue de l'être sans entrave".

 

 

En pleine campagne pour sa réélection, Donald Trump continue de miser sur les réseaux sociaux – il a d'ailleurs assuré qu'il continuerait de s'exprimer sur Twitter –, et sa menace constitue, selon la sociologue, une tentative d'intimidation. "Cela marche déjà", ajoute-t-elle, pointant l'interview accordée par Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, à la chaîne conservatrice Fox News jeudi. Il y critique la décision de Twitter, et exclut une prise de position similaire de son réseau social.

 

 

Je crois fortement que Facebook ne devrait pas être l'arbitre de la vérité de tout ce que les gens disent en ligne. Mark Zuckerbergsur Fox News

 

 

Les messages de Donald Trump corrigés ou masqués par Twitter ont d'ailleurs été publiés à l'identique sur Facebook, sans réaction du réseau. En 2016, déjà, l'entreprise avait accepté de refondre une section du site mettant en avant les tendances d'actualité, après avoir été accusée de censurer les points de vue conservateurs, par Donald Trump notamment.

 

 

Interrogé par le New York Times, Jeffrey Westling, membre du R Street Institute, un organe de recherche sur les politiques publiques, note d'ailleurs que le décret de Donald Trump, quel que soit son fondement juridique critiquable, "n'a pas besoin d'être légal pour être une menace" pour les réseaux sociaux. La justice leur donnerait sans doute raison, acquiesce-t-il, mais au prix de longues et coûteuses procédures, qui pourraient les pousser à s'interroger : "Cela en vaudra-t-il la peine, de mettre un message de vérification la prochaine fois que le président publie un tweet erroné ?"

 



31/05/2020
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