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L'AIR DU TEMPS

Franceinfo - le jeudi 9 août 2018

 

 

"J'avais l'impression de flouer ceux qui m'avaient élu" : pourquoi les démissions s'accumulent chez les maires

 

 

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Mahaut Landaz franceinfoFrance Télévisions

 

 

 

Face au manque de financement, à l'isolement, à la complexification des tâches ou encore à cause de la relation avec l'Etat, le nombre de démissions chez les premiers magistrats a bondi par rapport à la précédente mandature. Franceinfo s'est entretenu avec plusieurs maires à bout de nerfs

 

 

 

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 Plusieurs maires rassemblés à l'occasion d'une réunion de l'AMF à Saint-Etienne, le 19 septembre 2016 (CLAUDE ESSERTEL / MAXPPP)

 

 

"Arrête tes conneries, ou tu risques de mourir." Cette invective, Claude Descamps l'a reçue de son médecin. Il n'en a pas fallu plus à l'ancien maire de Prayssac (Lot) pour présenter sa démission au préfet. Stress, fatigue, solitude... "Le jeu n'en vaut plus la chandelle", comme le dit un élu. Une résignation symbolisée, au mois de mars, par la démission fracassante du maire de Sevran (Seine-Saint-Denis), Stéphane Gatignon.

 

 

La tendance est désormais confirmée par les chiffres : par rapport à la précédente mandature, le nombre de maires démissionnaires a augmenté de 55% depuis 2014, d'après un calcul de l'AFP. L'Association des maires de France (AMF), interrogée par franceinfo, en décompte 500. Pêle-mêle, les premiers magistrats dénoncent la baisse des dotations de l'Etat, l'augmentation du périmètre de décision avec la montée en puissance des intercommunalités, ou encore l'arrogance de l'administration territoriale.

 

 

"À la fin, on n'était plus que mon premier adjoint et moi"

 

Autant d'évolutions qui, mises bout à bout, ont complexifié le travail des élus. "Il y a une grande lassitude. Ce n'est pas nouveau, mais ça s'aggrave", estime Vanik Berberian, maire de Gargilesse-Dampierre (Indre) et président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). Comme près de la moitié des édiles – une proportion avancée par l'AMF dans Le Point – Claude Descamps a vu la dotation de sa commune décroître. L'ancien maire de Prayssac estime cette baisse à "environ 240 000 euros entre 2014 et 2017". Soit environ 10% du budget communal.

 

 

Ce pour quoi j'avais été élu était impossible à réaliser. J'étais aussi frustré que mes concitoyens. Claude Descamps, maire démissionnaire de Prayssac à franceinfo

 

 

L'ancien maire avait même renoncé à 60% de son indemnité afin d'embaucher une secrétaire à mi-temps. "Psychologiquement, c'est très dur, on essuie les reproches des uns et des autres, précise-t-il. J'avais l'impression de flouer ceux qui m'avaient élu."

 

 

Philippe Rion, maire démissionnaire de Castillon (Alpes-Maritimes), a fait, lui, le choix de supprimer les commémorations nationales. Sans que cela ne suffise à renflouer les caisses : à l'encontre de ses convictions, il s'est finalement résolu à augmenter la fiscalité locale de 20%.

Renoncer à leur programme, même modeste, "prendre des décisions sans avoir tous les tenants et les aboutissants", s'asseoir sur leurs idées politiques, ont été une première source de souffrance pour ces deux anciens édiles. Ces "chefs de village" ont souvent le sentiment de porter sur leurs seules épaules des coupes budgétaires décidées au plus haut sommet de l'Etat. "Quand vous passez votre temps à dire non, au bout d'un moment, votre conseil municipal arrête de s'investir", souligne Claude Descamps, dont l'équipe a fini par abandonner la mairie, le laissant seul avec son premier adjoint.

 

 

Les maires ruraux plus exposés 

 

Plus exposés à leurs administrés, les maires de petits villages seraient davantage touchés par la vague de démission, avance Vanik Berberian. Disposant d'une indemnité  inférieure au Smic – 658 euros brut pour les communes de moins de 500 habitants, contre 5 612 euros pour les villes de plus de 100 000 habitants – ils affirment ne pas pouvoir compter, comme dans les métropoles, sur une administration, faisant office d'intermédiaires avec les citoyens et "prennent les mécontentements en pleine tête".

 

 

Quand quelque chose ne va pas, on me le dit au bistrot. Vanik Berberian, président de l'AMRF à franceinfo

 

 

Les élus prennent sur leur temps personnel pour frapper aux portes et "trouver des solutions", que cela passe par dégoter des investisseurs ou mettre en place des systèmes de mécénat : "Maire, c'est sept jours sur sept, 365 jours par an !", aiment-ils à répéter. La panne de téléphone ou de réseau audiovisuel ? L'odeur de merguez qui empêche les habitants de dormir ? La route cabossée ? C'est le maire qu'on appelle, parfois directement sur son portable. "On bosse six jours sur sept, entre huit et dix heures par jour et finalement personne n'est content. Il y a un manque de reconnaissance de tous les côtés", confie Claude Descamps, qui livre avoir ressenti "un grand sentiment d'abandon et un fort sentiment de culpabilité". 

 

 

"On nous prend de haut"

 

La loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), votée en 2015, figure également sur le banc des accusés. Elle oblige les communes à procéder à des "fusions forcées", selon les mots de Philippe Laurent, secrétaire-général de l'AMF, c'est-à-dire le regroupement en intercommunalités aux compétences de plus en plus importantes. Une concentration qui permet aux petites communes de bénéficier de nouveaux services, mais qui met à mal la pertinence de l'échelon communal. Sans compter la multiplication des réunions. "Cette loi a donné des périmètres insupportables. Je connais une maire de l'Aveyron qui doit faire trois heures de voiture aller-retour pour une heure de réunion intercommunale. Elle a arrêté d'y aller", raconte Vanik Berberian, particulièrement remonté contre "la vision parisienne qui veut que plus c'est gros, mieux c'est".

 

 

Par ailleurs, la coopération avec les élus de plus grandes villes ne serait pas de tout repos. "On nous prend de haut", estime Philippe Rion. Dans bien des cas, les "petits maires" se font discrets lorsqu'ils assistent aux réunions de travail de l'intercommunalité. "Il n'y a que les grandes gueules qui parlent. C'est comme ça que les présidents des intercommunalités peuvent imposer leurs vues", abonde le président de l'AMRF, soulignant une forme de "complexe" des petits maires.

 

 

On laisse parler celui qui a eu plusieurs mandats, qui a plus d'expérience, devant lequel le préfet marque le plus de déférence.Vanik Berberian, président de l'AMRF à franceinfo

 

 

Une relation à l'État détériorée 

 

La montée en puissance des intercommunalités se poursuit : l'Assemblée nationale a acté, fin juillet, le transfert de la compétence eau et assainissement aux intercommunalités. La goutte de trop pour Vanik Berberian, qui dénonce une gouvernance se passant des élus. "On nous avait annoncé un nouveau monde, beaucoup imaginaient que le changement de président allait apporter une nouvelle manière de faire de la politique. Un vrai désenchantement", critique-t-il.

 

 

 

Pour les édiles, la suppression des emplois aidés ainsi que, surtout, celle de la taxe d'habitation ne passent pas. "Il y a une déception vis-à-vis de la relation que l'Etat impose aux communes", avance Vanik Berberian, soulignant que la légitimité et la responsabilité des maires passe par la collecte de l'impôt. 

 

 

 

Le sentiment c'est qu'Emmanuel Macron est le président des villes. Le schéma qu'on voit venir, c'est la concentration des richesses sur quelques grandes métropoles. Philippe Laurent, président de l'AMF à franceinfo

 

 

 

Le président de l'AMRF affirme que "l'aristocratie de la haute administration" a du mal à saisir le quotidien des maires. Au moment de sa prise de parole devant Édouard Philippe lors de la conférence nationale des territoires, Vanik Berberian raconte n'avoir pu s'empêcher d'esquisser un sourire en pensant à ce qu'il faisait la veille : "Le Premier ministre devait être à 1 000 lieux d'imaginer que je débloquais une jeune fille coincée dans les toilettes publiques !", s'amuse-t-il. Philippe Rion abonde : "Je n'ai pas fait l'ENA, mais je sais gérer une commune !"

 

 

 

Vers un déficit de candidats en 2020 ?

 

 

Convaincus que mener le moindre projet "est trois fois plus compliqué qu'il y a trente ans", de plus en plus de maires jettent l'éponge, parfois proches du burn-out. "Quand je rentrais chez moi, je ne parlais plus", confie Philippe Rion, qui avoue, même si cela lui "fend le cœur", bien mieux dormir depuis sa démission. Son cas n'est pas isolé. La maire de Guérande (Loire-Atlantique), Stéphanie Phan Thanh, qui a démissionné début juin, explique dans son communiqué "s'être investie parfois au-delà de ses forces, au détriment de sa famille". 

 

 

 

Honnêtement, je m'étonne qu'il n'y ait pas encore eu de suicide. Philippe Rion, ancien maire de Castillonà franceinfo

 

 

 

Tous s'inquiètent de plus en plus ouvertement de la disparition de la fonction, ou du moins de sa réduction "à l'état civil" et aux affaires "de voisinage". "Je ne sais pas si la finalité, ce n'est pas d'user les maires, de dégoûter tout le monde pour faciliter la disparition des communes", s'interroge Vanik Berberian. Déjà, lors des dernières municipales de 2014, certaines villes avaient peiné à trouver des volontaires. Sans pour autant régler le problème de fond : "Des candidats se sont présentés pour dépanner, en prévenant dès le départ qu'il ne fallait pas compter sur eux pour s'investir", raconte le président des maires ruraux. Une situation qui risque de ne pas s'améliorer lors des prochaines élections municipales, en 2020, où l'AMRF craint déjà un déficit de candidats.

 

 



14/08/2018
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