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L'AIR DU TEMPS

Franceinfo - le mardi 14 mai 2019

 

 

Des punks à chiens aux Molières, Blanche Gardin, l'humoriste qui fait rire la France en broyant du noir

 

 

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Benoît JourdainFrance Télévisions

 

 

 

La quadragénaire a imposé son physique de première de la classe et son humour à ne pas mettre en toutes les oreilles dans le paysage comique français. Mais le chemin pour y arriver a été compliqué, à son image

 

 

 

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L'humoriste Blanche Gardin sur la scène de la 30e cérémonie des Molières le 28 mai 2018. (ROMUALD MEIGNEUX / SIPA)

 

 

 

Merci, mais non merci. Parler à Blanche Gardin ou à son entourage proche équivaut à se voir fermer, gentiment, poliment, mais fermement, la porte au nez. Après avoir été beaucoup exposée, l'humoriste se protège désormais. Pourtant, impossible de passer à côté du phénomène.

 

 

Ses trois one-woman shows, dont le dernier qui affiche complet à L'Européen jusqu'au 18 mai, ont été des succès et sa carrière a été saluée par un deuxième Molière de l'humour, lundi 13 mai. Récemment, elle a refusé une décoration et critiqué le gouvernement pour son manque d'action en faveur des sans-abri. Derrière les airs de petite fille sage, les robes vintage et les blagues crues se dévoile une personnalité complexe au parcours chaotique. 

 

 

 

Une fugue à 17 ans pour se "suicider"

Blanche Gardin est née en 1977 à Suresnes (Hauts-de-Seine) et a été élevée à Asnières dans une "famille d'intellos de gauche", confie-t-elle au Parisien. Son père est professeur de linguistique à l'université. Sa mère est autrice et traductrice. Benjamine d'une fratrie de trois enfants, elle se considère comme "le vilain petit canard". Quand elle voit son frère et sa sœur sauter des classes, elle fait le pitre. L'adolescence est plus rude. "De 13 à 18 ans, ça a été le chaos. J'avais des crises de mélancolie intenses qui se soldaient parfois par une apathie totale qui provoquait une conduite à risque, des fugues. Je sentais que je n'arrivais à entrer dans le cadre", détaille-t-elle avec le recul au Figaro.

 

 

A 17 ans, l'adolescente "fumeuse de shit, dark et fofolle" prend carrément la tangente.

 

 

Avec une copine, on s'était dit, 'viens, on va se suicider'. Et le lendemain, elle m'a appelée en me disant qu'on y allait. Je n'ai pas osé dire non, je suis partie me suicider avec elle, du coup. Blanche Gardinà "L'Obs"

 

 

Voilà les deux amies parties direction Amsterdam, terminus prévu au Danemark. Leurs pérégrinations les mènent finalement jusqu'en Italie, à Naples, où Blanche se mêle à une troupe de "punks à chien sous LSD".

 

 

L'errance dure neuf mois, jusqu'au jour où elle se décide à appeler ses parents. "Mon père a insisté pour venir me voir, il a débarqué en avril 1995, j’avais des trous plein les oreilles, j’étais sale, je puais. Il m’a demandé ce que je voulais… Des chaussettes et une douche, mais le patron de son hôtel a refusé que je monte dans sa chambre, pensant que j’étais une pute toxico", se souvient-elle dans L'Obs. Elle voit ce père taiseux pleurer pour la première fois. Elle choisit alors de rentrer trois mois après ces retrouvailles, la culpabilité en bandoulière. "Je leur ai juste pété leur vie", dit-elle à propos de ses parents. 

 

 

 

De l'hôpital psychiatrique à la scène

A son retour en France, elle reprend le fil de sa vie. Passe son bac en candidate libre, s'inscrit à l'université et se passionne pour la sociologie. "Je me transforme, je deviens première de la classe, je me mets au premier rang, je vais parler aux profs à la fin", se remémore-t-elle. Elle se rapproche de son père. Lorsqu'il meurt d'un cancer foudroyant, son monde, qu'elle avait reconstruit, s'écroule. DEA en poche, elle quitte la fac et devient éducatrice à l'aide sociale à l'enfance pendant quatre ans. "En réalité, j’étais dévastée par ce deuil, je traînais ma carcasse dans un métier pour lequel je n’avais pas le moindre talent", confie-t-elle à L'Obs.

 

 

Parallèlement à ses études, elle monte des petits sketchs avec deux amis et, en 2006, tape dans l'œil de Kader Aoun qui s'apprête à lancer, avec Jamel Debbouze, le Jamel Comedy Club. Elle montre aussi son visage à la télévision dans l'émission "Ligne Blanche" sur Comédie !, mais envoie tout valser après un autre choc. Pas un deuil, mais une rupture amoureuse. "C’était la première fois de ma vie que je me retrouvais sans personne", souffle-t-elle dans Paris Match. Exsangue, en dépression, elle est hospitalisée en psychiatrie. "J’ai fait six semaines là-bas et, sur les conseils d’un psy qui s’occupait de moi, j’ai commencé à écrire. Il voyait bien que j’avais beaucoup de choses à sortir. D'ailleurs, il est bien connu en psychothérapie que l’écriture est une forme de mise à distance des choses", raconte-t-elle.

 

 

Ainsi naît, grâce au "désespoir", son premier spectacle, "Il faut que je vous parle". Elle noircit des pages sur lesquelles elle couche sa vie de trentenaire célibataire dépressive. "Il y avait quelque chose de vital, il fallait vraiment qu’elle parle et qu’on entende sa voix", estime dans Le Monde Alain Degois, alias "Papy", metteur en scène de ce one-woman show.

 

 

 

"Je vis pour Louis C.K."

Ce (nouveau) nouveau départ, elle le doit aussi à un homme : Louis C.K. Lors de son séjour en hôpital psychiatrique, Blanche Gardin visionne en boucle les spectacles de son idole. "C’est lui qui m’a permis de remonter sur scène après cinq ans de 'plus jamais, ce n’est pas pour moi'. Je voulais faire exactement ce qu’il fait, c’est-à-dire être parfaitement sincère avec les aspects les plus sombres de l’âme tout en étant le plus conscient possible de l’image très fabriquée de soi que l’on veut montrer au monde pour gentiment la détruire", analyse-t-elle dans Libération

 

 

Elle va même plus loin dans un entretien à MadmoiZelle en 2015 : "Je vis pour Louis C.K. Je ne pense pas être une fan, je pense être amoureuse de lui. J'ai l'impression d'être avec lui, de vivre avec lui." Alors, quand sortent les révélations de comportements sexuels déplacés en pleine vague #MeToo après l'affaire Weinstein, c'est la stupeur. L'humoriste américain est accusé par cinq femmes d'exhibitionnisme, trois d'entre elles affirmant même qu'il s'est masturbé devant elles. Des faits que l'intéressé confesse au Hollywood Reporter (en anglais).

 

 

Dans Télérama, Blanche Gardin avoue être "tombée de l'immeuble", mais refuse d'enfoncer son modèle : "Evidemment que la libération de la parole est quelque chose de nécessaire ; les femmes doivent pouvoir se sentir libres de dénoncer. Après, le fait qu'on puisse mettre dans le même sac un producteur qui viole des actrices et un mec dont le fétichisme, c’est de se masturber devant des femmes en leur demandant s'il peut le faire, ça veut bien dire qu'il y a un gros problème de nuances dans notre société moderne."

 

 

Lors de la cérémonie des Césars 2018, elle va même plus loin en arborant à la fois un badge à l'effigie de l'humoriste et un ruban blanc en soutien à la lutte contre les violences faites aux femmes. 

 

 

 

 

 

 

Quelques mois plus tard, en octobre 2018, une photo prise à New York révèle que les deux humoristes sont devenus très proches. Une relation confirmée par Louis C.K. lors de son passage à Paris en novembre 2018 : "Je sors avec cette femme, et elle est française", cite 20 Minutes. Une nouvelle qui ne plaît pas à tout le monde. Sur Twitter, certains s'émeuvent de cette relation et n'hésitent pas à la critiquer. Mais Blanche Gardin joue la carte du silence. Six mois après l'officialisation de cette relation, on ne sait pas, d'ailleurs, si les deux humoristes sont toujours ensemble.

 

 

 

 

 

Humour cul et cru

Voir un spectacle de Blanche Gardin, c'est lancer un défi au "politiquement correct". Son premier était d'ailleurs interdit aux moins de 16 ans, le deuxième, "Je parle toute seule", interdit aux moins de 17 ans. Un exemple ? Le sketch sur la sodomie dans "Je parle toute seule". "Moi, la première fois que je me suis fait enculer… Je ne parle pas de quand j'ai voté Hollande… Je parle de la fois où je l'ai pris dans le cul, vraiment", attaque-t-elle pour donner le ton.

 

 

"Blanche n'écrit jamais pour le plaisir de la vanne ou le plaisir de choquer ; ça vient de plus loin que ça. Pour une femme, ce qu'elle fait est très important. Elle libère une parole, elle ose tout, c'est extraordinaire… Et avec son physique d'oisillon, tout passe", résume dans Télérama Béatrice Fournera, scénariste de WorkinGirlssérie de Canal+ dans laquelle Blanche Gardin a joué. Elle "raconte juste [sa] vie, donc c'est dur, mais dur comme la vie", s'excuse presque l'intéressée dans Paris Match. "J’écris de manière très premier degré, avec une idée du sens que je veux donner bien sûr, mais le but n’est jamais de choquer ou provoquer", poursuit-elle. 

 

 

Son écriture, en tout cas, lui attire les louanges de ses pairs. Notamment d'Eric Judor, qui a mis en scène le scénario qu'elle avait écrit avec Noé Debré, Problemos : "Je connais son niveau, son spectacle m'a conforté dans l'idée qu'elle est un auteur extraordinaire", s'extasie-t-il dans Le Figaro (article abonnés). Et Blanche Gardin de résumer dans Paris Match : "Ma façon d’exister, c’est de pousser le bouchon et me faire remarquer."

 

 

 

"Chez Blanche, ça saigne de partout"

Pour ne pas qu'on l'oublie, Blanche Gardin a une technique imparable : marquer de son empreinte une émission en direct. Lors de la cérémonie des Molières 2018, elle vient remettre elle-même le Molière de l'humour, catégorie où elle est nommée. Face à Jamel Debbouze, Fabrice Eboué, Jérôme Commandeur et Manu Payet, elle l'emporte. "Je le savais, lâche-t-elle, je suis la seule femme nommée l'année de l'affaire Weinstein." Dans le discours qui suit, elle remercie ses parents, qui lui ont transmis "cette belle angoisse de mort, outil indispensable à tout humoriste qui se respecte", et sa thérapeute, "qui à la fois [la] fait [se] sentir vraiment mieux au quotidien et à la fois fait qu'[elle] garde des névroses assez intactes pour pouvoir écrire des blagues".

 

 

Ses angoisses ne se résument pas à celle de la page blanche. "Elle a constamment en tête ce qu’on a tendance à occulter, la mort, la mocheté du monde. Elle s’en nourrit, mais ça ne doit pas être facile à vivre. Les gens les plus drôles sont parfois les plus compliqués dans leur tête", analyse dans Le Parisien Sylvain Fusée, réalisateur de WorkinGirls. Cette "hypersensible", selon Alain Degois, a gardé de son parcours "beaucoup de plaies qui ne se sont jamais fermées". "Chez Blanche, ça saigne de partout. Comme beaucoup de surdoués, le monde est pour elle d'une violence inouïe", résume-t-il dans Marie Claire

 

 

Monter sur scène a été une épreuve. Lorsqu'elle débarque au Jamel Comedy Club, elle doit se faire violence. "C’était compliqué, confirme le directeur artistique de la troupe au Parisien. Ça l’a un peu traumatisée." Au point que, parfois, cela se termine dans les larmes. 

 

 

 

"Monsieur le Président, je suis flattée…"

Si Blanche Gardin et ses proches ne parlent plus à la presse, l'humoriste n'a pas rangé sa langue dans sa poche pour autant. Mercredi 3 avril, dans un long post Facebook, elle explique son refus d'être nommée à l'ordre des Arts et des Lettres. "Je ne pourrai accepter une récompense que sous un gouvernement qui tient ses promesses et qui met tout en œuvre pour sortir les personnes sans domicile de la rue." Si la proposition émane du ministère de la Culture, elle s'adresse directement à Emmanuel Macron. Elle lui reproche la baisse des APL, la réduction des moyens alloués au logement social et aux centres d'hébergement, l'absence d'encadrement des loyers et la réforme de l'ISF, qui a entraîné une chute des dons aux associations.

 

 

 

Le ministre du Logement, Julien Denormandie, lui a répondu sur Twitter. Elle n'a pas continué le dialogue. Il semble difficile actuellement de parler à Blanche Gardin, qui préfère se concentrer sur ses monologues.

 



14/05/2019
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