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L'AIR DU TEMPS

Franceinfo - le jeudi 3 octobre 2019

 

 

"On fait deux boulots en un" : après le suicide de Christine Renon, des directeurs d'école racontent un "malaise généralisé"

 

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Louis SanFrance Télévisions

 

 

La mort de Christine Renon, directrice d'une école maternelle à Pantin, a mis en lumière le mal-être de toute une profession

 

 

 

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Dans une classe de l'école élémentaire Jules Ferry, à Montpellier (Hérault), le 2 septembre 2019. (XAVIER LEOTY / AFP)

 

 

 

Elle ne peut contenir ses larmes à l'évocation de la première phrase de la lettre de Christine Renon. Véronique Decker, directrice d'école à Pantin (Seine-Saint-Denis) de 1994 à 2019, est débordée par l'émotion, en relisant les mots de la directrice d'école maternelle, qui s'est suicidée sur son lieu de travail. "Aujourd'hui, samedi, je me suis réveillée épouvantablement fatiguée, épuisée après seulement trois semaines de rentrée", avait-elle écrit dans un courrier de trois pages envoyé à sa hiérarchie et des collègues.

 

 

"Cette phrase est terrible, elle est extraordinaire parce qu'elle résume tout en quelques mots", juge la jeune retraitée, qui a longuement milité au sein de Sud-Education. Les obsèques de Christine Renon se déroulent jeudi 3 octobre, en même temps qu'une journée de mobilisation des directeurs et directrices d'école. Son geste a mis en lumière le profond malaise qui secoue la profession.

 

 

 

"Septembre, le mois de l'apnée"

"Dire que je me reconnais dans les propos de ma collègue est une évidence", lâche Fabrice*, directeur d'une école de six classes dans le sud-est de la France, à franceinfo. Il parle d'"un malaise généralisé". Pour ce trentenaire non syndiqué, il n'est pas étonnant que Christine Renon témoigne de son épuisement aussi tôt dans l'année scolaire.

 

 

"La rentrée d'un directeur d'école se fait rarement à la date de pré-rentrée officielle fixée par l'Education nationale", explique Fabrice. Dès mi-août, il s'agit de "préparer la réunion avec les collègues, gérer les inscriptions tardives, préparer les documents à remettre aux familles, travailler les plannings de réunions, de surveillance, d'utilisation des locaux, etc.", liste le directeur. Ce n'est pas tout. Il faut aussi se coordonner avec la municipalité, pour "les imprévus de l'été, comme des travaux en urgence, remettre en état les locaux s'ils ont été utilisés."

 

 

Puis vient septembre. "Le mois de septembre est, pour un directeur, celui de l'apnée", selon Fabrice. Ghislaine*, directrice d'une école de trois classes dans le Sud-Ouest, confirme. "En début d'année, il faut rentrer toutes les fiches dans le système informatique : il faut vérifier tous les numéros de téléphone, toutes les adresses… Cela prend un temps fou. Septembre-octobre, jusqu'aux vacances de la Toussaint, c'est vraiment compliqué", raconte la quadragénaire à franceinfo, qui n'est plus syndiquée depuis quelques années, après avoir longtemps adhéré au Snuipp.

 

 

Au menu de la rentrée, Fabrice mentionne également tous les plans et mesures relatifs à sécurité, avec des documents à remplir en version papier et numérique.

 

 

Il y a eu en quelques années une aggravation considérable de la charge de travail liée à l'informatisation et au recueil de données.Véronique Decker, ancienne directrice d'école en Seine-Saint-Denis à franceinfo

 

 

Mais au-delà de cette fatigue précoce, les directeurs d'école interrogés par franceinfo pointent, comme Christine Renon, l'accumulation de tâches et d'imprévus au quotidien. "La succession de toutes ces petites actions qui se surajoutent", selon Ghislaine. Madeleine*, directrice d'une école privée sous contrat d'association dans les Hauts-de-France, détaille pêle-mêle "un conflit entre parents, des choses aussi banales qu'une sortie scolaire où il manque un accompagnateur et à laquelle je dois finalement aller, le manque de papier toilette que je dois aller chercher sur mon temps libre, ou une réunion à 50 km de l'école", compliquant la garde de ses enfants.

 

 

 

"Exercice solitaire"

Pour assurer ces nombreuses tâches, les directeurs sont souvent seuls, alors qu'ils ont également la responsabilité d'une classe. Certains bénéficient d'une "décharge", c'est-à-dire d'une personne qui assure la classe à leur place, quelques jours par mois, selon la taille de l'école. Ces décharges doivent leur libérer du temps pour assurer leur fonction de directeur. Mais pour nombre d'entre eux, elles sont inexistantes ou jugées insuffisantes.

 

 

Pierre* ne se trouve pas accablé par son travail, qu'il affirme toujours aimer. Il est directeur à Paris et a donc le privilège d'être totalement déchargé. Mais il a également officié dans les Yvelines, pendant une vingtaine d'années, sans décharge, et reconnaît qu'assurer la direction et la classe "est juste énorme : on fait deux boulots en un".

 

 

Concrètement, un directeur des écoles fait office de charnière entre l'académie, la mairie, les enseignants (dont il n'est pas le supérieur hiérarchique), les élèves de sa classe, tous les élèves de l'établissement, les parents d'élèves, puis les associations et les autres professionnels qui interviennent dans son école. Psychologues scolaires, assistantes sociales et intervenants divers.

 

 

Malgré tout ce monde, "l'exercice de la direction d'école est un exercice solitaire", affirme à franceinfo Alain Rei, président du Groupement de défense des idées des directeurs d'école (GDID), une association qui milite pour la création d'un nouveau statut spécifique pour les directeurs. Dans les zones rurales très reculées, le directeur peut vraiment se retrouver livré à lui-même. "A la campagne, vous êtes tout seul dans votre école avec les élèves", insiste Ghislaine. Et d'ajouter : "Il y a déjà un isolement quand on est directeur d'école, et si on n'a pas de collègue, c'est encore pire."

 

 

 

"Jamais remercié"

Le directeur est donc seul face à son administration, qui n'est pas toujours tendre lorsqu'un incident survient. "Quand il y a un problème dans votre école avec un élève, ou un parent d'élève, tout de suite, la hiérarchie a un côté suspicieux : 'Mais comment avez-vous fait ? Et pourquoi vous n'avez pas fait comme ça ?' C'est extrêmement pénible à vivre", raconte Ghislaine. Véronique Decker estime que, dans un contexte de "judiciarisation croissante", "l'administration ne cherche qu'à se couvrir". Et de trancher : "L'intérêt de l'élève, l'intérêt de la famille, l'humanité de la relation, tout le monde s'en fout."

 

 

"Le directeur se doit d'être réactif et, en cas de faute, accepter d'être le seul vers qui les reproches convergent. Il est la pierre angulaire du premier degré, mais il n’est jamais remercié", analyse Fabrice.

 

 

Le directeur d'école est un personnel sans pouvoir que l’on aime malmener et qui est peu respecté.Fabrice, directeur d'école dans le sud-est de la France à franceinfo

 

 

Le bilan est amer pour Ghislaine : "On veut toujours bien faire. Et on a l'impression que ce n'est jamais assez. On est tous plus ou moins dans les symptômes du burn-out." De son côté, Madeleine reconnaît "faire partie des directrices qui emmènent leurs problèmes à la maison" et ne cache pas "se laisser parfois envahir par les pleurs". "On a le sentiment de ne pas y arriver", ajoute Alain Rei.

 

 

 

Un poste mal payé, une formation inadaptée

Des tourments pour un travail débordant, et un salaire qui ne fait pas rêver les enseignants. L'OCDE a demandé à la France, en septembre 2018, de clarifier et revaloriser le statut et le rôle des directeurs d'école primaire en France. En effet, celles et ceux qui occupent la fonction ne gagnent que 7% de plus que les enseignants. L'écart est de 41% en moyenne, dans les autres pays de l'OCDE.

 

 

"Pour tout ce qu'on fait, on n'est pas bien payé. Personne ne se bouscule au portillon", pour les postes de direction, souffle Ghislaine. Pourtant, devenir directeur n'est pas spécialement compliqué. L'enseignant qui se porte candidat passe un oral d'une trentaine de minutes et "presque tous les gens qui passent cet entretien sont admis", affirme Pierre. Résultat : beaucoup de directeurs arrivent en poste sans vraiment réaliser la charge de travail. "Dans la majorité des cas, après un an d'essai, cela demande une vraie volonté de rester", assure Fabrice.

 

 

Les directeurs d'école assument seuls ce que le second degré délègue à 8 ou 10 personnes.Fabrice, directeur d'école à franceinfo

 

 

La formation des directeurs est également mise en cause. Elle se fait sur trois semaines perlées, c'est-à-dire réparties à différents moments de l'année. Outre cette formation en pointillé, pour Pierre, il y a un "déficit dans la formation en termes de management", soulignant que "parler en public, en réunion, devant les parents ou des représentants, est hyper stressant".

 

 

Une réflexion sur la création d'un nouveau statut spécifique pour les directeurs d'école est en cours. Mais rien n'est encore tranché. Le ministère de l'Education nationale se contente d'indiquer à franceinfo que "cette réflexion est inscrite à l'agenda social" et qu'elle est "l'un des dossiers les plus importants". Il ne peut donner d'échéance ou se prononcer sur des pistes, comme l'éventuelle création d'un statut hiérarchique supérieur pour les directeurs d'école, ou un dédoublement avec un poste de directeur administratif et un autre de directeur pédagogique. En attendant, le malaise risque de perdurer. Pour tenir, les directeurs s'accrochent "aux sourires des enfants et la reconnaissance des parents", glisse Ghislaine. Mais pour combien de temps ?

 

 

*Le prénom a été modifié

 


Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est disponible 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.

 



03/10/2019
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