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L'AIR DU TEMPS

Franceinfo - le samedi 4 mai 2019

 

 

ENQUETE FRANCEINFO. Comment quelques centaines de grands donateurs ont financé l'essentiel de la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron

 

 

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Sylvain TronchetJulie GuesdonRadio France

 

 

 

L'histoire de la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron est aussi celle d'une levée de fonds sans précédent, qui s'est appuyée sur de grands donateurs dont l'importance a été minimisée.

 

 

 

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 Emmanuel Macron, alors candidat à l'élection présidentielle, lors d'un meeting de campagne à Paris, le 17 avril 2017. (ERIC FEFERBERG / AFP)

 

 

 

Entre la création d'En Marche, en mars 2016, et décembre 2017, Emmanuel Macron a reçu 15 994 076 euros de dons. Et certains ont encore donné après la campagne. Jamais un candidat n'avait rassemblé autant d'argent auprès des particuliers en partant de rien.

 

 

À première vue, cette somme réunie grâce à 99 361 dons semble accréditer l'histoire racontée par les responsables d'En Marche pendant la campagne : celle d'une mobilisation populaire autour du candidat. Pourtant, à bien y regarder, ceux que l'on a appelé les "grands donateurs" ont été déterminants. 48% de ces 16 millions d'euros ont été récoltés grâce à seulement 1 212 dons de 4 500 euros et plus. Ces gros chèques et virements ont été d'autant plus essentiels qu'ils ont longtemps représenté l'essentiel des ressources dont disposait le candidat.

 

 

Nous avons obtenu auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) les fichiers des donateurs de la campagne d'Emmanuel Macron ainsi que ceux de LREM pour les années 2016 et 2017. Les noms des donateurs n'y sont pas présents, mais ils comportent certains éléments : la date du don, le pays et la ville de résidence du donateur, le montant du don, son type (virement ou chèque). Nous avons également croisé ces données avec celles contenues dans les Macron Leaks. On y trouve de nombreux mails de donateurs et bulletins de dons ainsi que des fichiers de contributeurs, dont nous avons pu vérifier l'exactitude grâce aux fichiers "officiels" que nous avions par ailleurs.

 

 

 

80 000 euros en caisse au lancement d'En Marche

Quand il lance En Marche à Amiens le 6 avril 2016, Emmanuel Macron n'a que 80 000 euros dans les caisses de son mouvement. Ils proviennent de quelques dons faits par des proches. Le premier donateur de l'histoire du mouvement est le père d'Emmanuel Miquel, le secrétaire de l'association de financement de la campagne, qui signe un chèque de 7 500 euros dès le 17 mars. Quelques amis banquiers sont également mis à contribution par Christian Dargnat, l'ancien patron de la branche gestion d'actifs de la BNP, qui prend la présidence de l'association de financement du mouvement.

 

 

Mais En Marche a besoin de beaucoup plus d'argent. Or, le parti cumule deux handicaps. Il vient d'être créé, donc il n'a pas accès au financement public de l'État, et il n'a pas d'actif immobilier qui pourrait servir de garantie pour un emprunt. Le candidat n'a qu'une solution pour financer sa campagne : faire appel aux dons des particuliers.

 

 

La stratégie de l'équipe Macron est clairement décrite dans un mail de Christian Dargnat, issu des Macron Leaks, du 10 septembre 2016 : "Quand on sait que les dépenses de campagne présidentielle sont limitées à 22 millions d’euros et que nous pourrions contracter un prêt bancaire [à hauteur de 9 millions] remboursé si le candidat dépasse le seuil des 5% aux élections, il nous reste donc à 'trouver' 13 millions. Si l’on arrondit à 10 millions le budget à trouver, il faut donc obtenir des dons de 1 333 personnes à 7 500 euros chacune."

 

 

 

Une campagne financée pour moitié par environ 800 personnes

Si Emmanuel Macron a reçu 1 212 dons de plus de 4 500 euros (sur un total de 99 361 dons), le nombre de donateurs qui se cachent derrière ces dons est nettement moins important, probablement aux alentours de 800. Certains ont en effet donné plusieurs fois, et nous avons pu les identifier dans de nombreux cas. La réglementation autorise un particulier à donner 7 500 euros par an à un parti politique. Ce même particulier peut également donner jusqu'à 4 600 euros au candidat de son choix par élection.

 

 

Grâce aux Macron Leaks et aux données obtenues auprès de la CNCCFP, nous avons pu retrouver des donateurs qui ont ainsi donné 7 500 euros à En Marche dès 2016, puis renouvelé leur don en 2017, et fait un troisième chèque de 4 600 euros, parfois arrondi à 4 500, à l'association de campagne du candidat. Certains ont également multiplié cette somme par deux au nom de leur conjoint(e), le chèque ou le virement partant du même compte commun.

 

 

Dans les faits, les grands donateurs étaient d'abord invités à verser une contribution au parti. Ensuite, ceux qui avaient atteint le maximum pouvaient compléter leur soutien en donnant à l'association de campagne. Un million d'euro a ainsi atterri sur le compte du candidat sous la forme de 251 dons, quasiment tous au plafond de 4 600 euros. Les fichiers de dons fournis par la Commission des comptes de campagne sont anonymisés, mais suffisamment précis pour faire certains recoupements.

 

 

On observe par exemple qu'un don de 4 600 euros arrive de Tirana, en Albanie, le 25 janvier 2017. Le même jour, un autre don de 7 500 euros atterrit sur le compte d'En Marche depuis… Tirana. Six jours plus tard, un couple de Zurich (Suisse) fait deux virements de 4 600 euros sur le compte de la campagne, au moment même où le parti reçoit un virement de 15 000 euros partis d'un compte commun de Zurich. Ce couple vient donc de donner 24 200 euros. Et il n'est pas le seul à l'avoir fait. Nous avons même retrouvé la trace d'un virement unique de 24 200 euros (correspondant à 2 × 7 500 + 2 × 4 600 pour un couple) qu'En Marche a dû rembourser pour cause de dépassement du plafond. Quelques jours plus tard, son émetteur, habitant à Tahiti, faisait cette-fois deux virements distincts au parti et à l'association de campagne pour le même total.

 

 

 

Des sollicitations "sans faire la distinction entre mouvement et campagne"

Pour parvenir à ce montant de 16 millions d'euros, l'équipe de campagne a "optimisé" la réglementation en matière de financement électoral. Certains de ses membres avaient bien conscience de contourner la volonté initiale du législateur sur le financement des campagnes politiques. Le 23 janvier 2017, Julien Denormandie écrit : "On en a déjà discuté avec CO [Cédric O, le trésorier], mais je voudrais double checker le fait que notre politique visant à solliciter les dons sans faire la distinction entre mouvement et campagne ne pose pas de problème. Je dis cela car l’esprit de la loi est bien de limiter le montant des contributions au titre de la campagne."

 

 

D'après nos informations, la stratégie d'En Marche a fait sourciller la Commission des comptes de campagne qui s'est opposée à ce que le parti paie directement les dépenses de la campagne d’Emmanuel Macron. L'équipe a réglé le problème en effectuant des virements vers l'association de campagne qui a ensuite payé les factures. Une opération sans conséquence qui avait le mérite de préserver les apparences. Orienter les dons prioritairement vers En Marche présentait l'avantage de pouvoir recevoir des sommes importantes avec un plafond à 7 500 euros au lieu de 4 600 pour l'association de campagne. Une stratégie assumée dans la réponse d'Emmanuel Miquel, le trésorier de la campagne, à Julien Denormandie : "On cherche d'abord à saturer le don au mouvement [à 7 500 euros], avant d'ensuite saturer celle du candidat [à 4 600 euros]."

 

 

 

Plus de la moitié des dons viennent de Paris ou de l'étranger

L'analyse des données fournies par la CNCCFP permet de comprendre où les équipes d'Emmanuel Macron ont concentré leurs efforts. Premier constat : En Marche a fait un carton à Paris. 6,3 millions d'euros ont été donnés au candidat par un peu plus de 15 000 habitants de la capitale. C'est quasiment la moitié des fonds collectés en France, alors que Paris intra-muros ne représente qu'un peu plus de 3% de la population française.

 

 

Cette proportion s'explique par la concentration de grands donateurs, installés dans les arrondissements huppés de l'ouest de la capitale, mais aussi, dans une moindre mesure, par une belle récolte de petits dons auprès des Parisiens qui ont largement voté pour Emmanuel Macron avec 35% dès le premier tour et presque 90% au deuxième. À titre de comparaison, le candidat a recueilli 240 000 euros de dons en provenance de Lyon, 35 000 à Bordeaux et 32 000 à Lille.

 

 

Emmanuel Macron a aussi pu compter sur de généreux donateurs hors de France. Il a reçu 2,4 millions d'euros de dons de l'étranger, soit 15% de sa collecte totale. 1,8 millions émanent de donateurs aisés avec 264 dons supérieurs à 4 000 euros. Sans surprise, le Royaume-Uni arrive en tête des pays donateurs.

 

 

>> Retrouver la répartition par pays des dons collectés à l'étranger par LREM et l'association de campagne d'Emmanuel Macron en 2016 et 2017

 

 

Emmanuel Macron a effectué au moins quatre voyages à Londres pour y lever des fonds. Avec succès (le don moyen y est de 1 000 euros), mais le socle de grands donateurs du candidat est bien resté en France : à eux seuls, trois arrondissements parisiens (6e, 7e et 16e) ont donné plus que tous les donateurs installés à l'étranger.

 

 

 

Des grands donateurs plutôt que le grand public

Le 18 novembre 2016, alors que le profil de ses donateurs commençait à faire polémique, Emmanuel Macron affirmait : "Il y a plus de 10 000 donateurs, une très grande majorité ce sont de petits dons autour de 40, 50 euros et il y a 5% des dons qui dépassent 1 000 euros." Pendant des mois, la communication du candidat va viser à installer l'idée d'une campagne financée par le grand public. L'équipe de campagne évitera toujours soigneusement de dévoiler deux données : le don moyen pour lui préférer le don médian qui ne donne pas d'indication sur les gros dons et la part des grands donateurs dans le total de la collecte.

 

 

Ainsi, si les chiffres qu'il énonce en novembre 2016 sont globalement vrais, nous avons pu le vérifier, Emmanuel Macron en oublie un : à cette date, sur les 3,6 millions d'euros qu'il a levé, les deux tiers (2,2 millions) lui ont été donnés par 300 personnes. Dans les premiers mois de la campagne, le candidat est totalement dépendant de généreux contributeurs : banquiers d'affaires, gestionnaires de fonds, avocats, entrepreneurs du web… S'ils n'avaient pas sorti leur chéquier, jamais sa campagne n'aurait pu débuter. La mobilisation du grand public ne va devenir vraiment significative que vers le mois de février 2017.

 

 

Par la suite, l'équipe de campagne va quasi-systématiquement minorer les chiffres réels de la collecte. Dans un article du JDD de février 2017, elle affirme par exemple avoir levé 5,1 millions d'euros et parle de 150 personnes ayant donné 7 500 euros. En recalculant les dons effectivement encaissés à cette date à partir des fichiers de la CNCCFP, on s'aperçoit qu'en réalité, la collecte totale était de 7,2 millions d'euros et que 362 personnes avaient fait des chèques de 7 500 euros, soit plus du double admis par l'équipe de campagne.

 

 

 

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Emmanuel Macron, alors ministre français de l'Economie, en marge du sommet sur l'avenir de l'Europe qui s'est tenu à Londres le 14 avril 2016. (JUSTIN TALLIS / AFP)

 

 

 

Il y a un point en revanche sur lequel l'équipe de campagne dit vrai : la première tentative de levée de fonds à Londres le 14 avril 2016 a bien été un fiasco. Elle avait pourtant suscité une vive polémique. Emmanuel Macron, encore ministre de l'Économie avait rencontré, en marge de deux voyages officiels, de riches Français installés à la City pour solliciter des dons pour son tout jeune parti.

 

 

La polémique avait enflé quand, quelques jours plus tard, le magazine Paris Match affirmait à tort qu'il avait récolté plus de 12 millions d'euros lors de cette escapade. Interpellé à l'Assemblée nationale par le député LR Georges Fenech, Manuel Valls avait expliqué que son ministre n'avait pas profité de son voyage pour collecter des fonds. En mai 2017, le magazine "Pièces à conviction" sur France 3 avait enquêté sur les coulisses de cette réunion à Londres.

 

 

Christian Dargnat, président de l'association de financement d'En Marche, avait admis dans le reportage de "Pièces à conviction" (vers 19'15'') que la réunion avait bien eu lieu, mais il affirmait avoir "levé zéro" en raison de l'amateurisme de l'équipe à ce moment-là. Christian Dargnat disait vrai. Dans les deux mois qui ont suivi ce voyage, à peine une dizaine de dons supérieurs à 5 000 euros sont arrivés en provenance de Londres.

 

 

 

Des recours aux dons différents selon les candidats

En 2017, le seul à avoir adopté une stratégie (un peu) comparable à celle d'Emmanuel Macron était Jean-Luc Mélenchon. Le candidat de La France insoumise ne pouvait pas s'appuyer sur un parti bénéficiant d'un fort financement public. Il a donc lui aussi sollicité les dons. Il a ainsi récolté 2,8 millions d'euros. Même en y ajoutant les dons perçus par le Parti de gauche en 2016 et 2017 et La France insoumise en 2017, pour tenter de trouver un périmètre comparable à Emmanuel Macron, son potentiel financier atteint 4,5 millions, soit quatre fois moins que le candidat d'En Marche. Les comptes détaillés du candidat Mélenchon ne sont pas encore disponibles auprès de la CNCCFP, mais si on regarde le fichier des donateurs 2017 du Parti de Gauche, on y trouve un don de 7 020 euros et une petite cinquantaine de contributions supérieures à 1 000 euros. Le potentiel financier des donateurs ne semble pas être le même.

 

 

 

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Montant et structure des dons de particuliers reçus par les principaux candidats à l'élection présidentielle de 2017. (INFOGRAM / RADIO FRANCE)

 

 

 

 

François Fillon n'avait lui, a priori, pas besoin de faire appel aux dons. Le candidat pouvait notamment compter sur un magot de 10 millions d'euros provenant des bénéfices réalisés lors de la primaire de la droite et du centre. Les 9,6 millions d'électeurs qui s'étaient déplacés sur les deux tours avaient tous versé 2 euros de participation. Néanmoins, François Fillon a collecté des fonds via son parti Force Républicaine. Il a ainsi récupéré 1,4 million d'euros en 2017, mais "seulement" 61 dons supérieurs à 4 500 euros. Très loin des 1 212 reçus par Emmanuel Macron.

 

 

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L'ensemble des candidats à l'élection présidentielle de 2017, à l'exception de Philippe Poutou, le 4 avril 2017 lors du débat organisé par BFMTV et CNews à la Plaine Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).  (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

 

 

 

Quand à Benoît Hamon et Marine Le Pen, ils n'ont quasiment pas sollicité les dons. Le premier pouvait compter sur la cagnotte du PS, qui bénéficiait encore à cette époque d'un important financement public. La seconde s'est financée grâce à un prêt accordé par Cotelec, le micro-parti de son père.

 

 

Dans l'histoire des élections présidentielles, seul Nicolas Sarkozy avait réalisé une performance comparable à celle d'Emmanuel Macron en 2017. Le candidat UMP avait reçu 7 millions de dons via son association de campagne et son parti avait récolté 8,9 millions.

 

 

 

Des grands donateurs qui disparaissent après la présidentielle

L'élection présidentielle passée, la mobilisation des grands donateurs semble s'être évaporée. Les comptes 2018 des partis politiques ne sont toujours pas publics, mais chez LREM, on explique n'avoir reçu qu'un million d'euros, une somme très faible au regard de ce que pouvait espérer jusque-là un parti majoritaire à l'Assemblée. À titre de comparaison, en 2013, année post-présidentielle, le Parti communiste avait engrangé 5,5 millions d'euros de dons. Ceci dit, LREM n'a plus à craindre pour ses fins de mois vu que le mouvement, grâce à son score aux législatives, touche dorénavant 22 millions d'euros par an de financement public.

 

 

Chez Les Républicains, les grands contributeurs habituels se sont également volatilisés. D'après nos informations, LR n'aurait reçu qu'environ 2,5 millions d'euros de dons en 2018, alors qu'en moyenne, sur les cinq années précédentes, la collecte rapportait 9 millions par an. Un cadre du parti explique qu'il a vu "les têtes changer lors des rencontres qui sont organisées entre Laurent Wauquiez et les plus généreux contributeurs du mouvement". D'après lui, "certains ont fait le constat qu'Emmanuel Macron faisait des réformes qui leur étaient favorables, comme la 'flat tax', et finalement, ils n'ont plus de raison de nous donner autant".

 


 

En raison de son manque de moyens notamment, la CNCCFP ne fournit toutes ces données que deux ans, voire plus, après l'élection présidentielle. Dans de nombreux pays (États-Unis, Royaume Uni, Allemagne…) les dons aux partis politiques sont publiés en ligne quasiment en temps réel, et le nom des donateurs est rendu public. En France, malgré quelques tentatives à l'Assemblée nationale ces dernières années, les députés ont toujours refusé la transparence totale du financement politique.

 



04/05/2019
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