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L'AIR DU TEMPS

Franceinfo - le mercredi 30 janvier 2019

 

 

C'est le pesticide quasi incontournable en agriculture bio : faut-il se méfier de la bouillie bordelaise et du cuivre qu'elle contient ?

 

 

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Louis BoyFrance Télévisions
 

 

 

 

Citant les craintes liées à l'accumulation du cuivre dans le sol, l'Union européenne a réduit fin novembre les doses autorisées. Au grand dam de certains producteurs bio, notamment dans le vin, qui disent ne pas pouvoir s'en passer

 

 

 

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Des feuilles couvertes de bouillie bordelaise, reconnaissable à sa couleur bleue, le 27 mai 2017 en Bretagne. (GARO / PHANIE / AFP)

 

 

 

Le 27 novembre, un pesticide était en débat à Bruxelles. Des experts issus de tous les pays membres de l'Union européenne ont plaidé, certains pour son interdiction, d'autres pour le statu quo. Ils ont fini par voter son autorisation pour sept années supplémentaires, mais en imposant des restrictions plus importantes à son utilisation, qui entrent officiellement en vigueur jeudi 31 janvier. Ce scénario en rappelle d'autres. Mais cette fois, ce n'était pas le sort d'un nouvel équivalent du glyphosate qui était en jeu : on se prononçait sur la "bouillie bordelaise" – un mélange de sulfate de cuivre et de chaux, utilisé depuis une éternité contre certains champignons – et tous les autres fongicides à base de cuivre.

 

 

Des produits autorisés en agriculture biologique, notamment dans la production de vin, de pommes, de poires ou de pommes de terre. Des produits dont vous avez peut-être vous-même un bidon dans votre cabanon de jardin, pour traiter vos légumes. Mais si la bouillie bordelaise paraît anodine pour beaucoup, son sort fait débat. "Mon rôle est de protéger la santé publique, donc je suis inquiet de la potentielle accumulation de cuivre – un métal lourd qui ne se dégrade pas – dans le sol", a ainsi reconnu (article en anglais) le commissaire européen chargé de la santé, Vytenis Andriukaitis. Cela veut-il dire que vous devriez, vous aussi, vous en inquiéter ?

 

 

 

Une invention des viticulteurs

Pendant longtemps, l'utilisation de la bouillie bordelaise allait de soi, un peu comme on ne se méfierait pas d'un remède de grand-mère. Depuis la fin du XIXe siècle, on se sert de ce mélange de sulfate de cuivre et de chaux pour contrer les attaques de mildiou, principalement, mais aussi de tavelure. Ces maladies liées à des champignons peuvent provoquer des pertes de récoltes importantes : les ravages du mildiou sur les cultures de pommes de terre ont, par exemple, causé la Grande Famine qui tua un million d'Irlandais au milieu du XIXe siècle.

 

 

 

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Des vignes touchées par le mildiou sur une exploitation à L'Etoile (Jura), le 5 août 2016. (MAXPPP)

 

 

 

La bouillie bordelaise n'a pas été concoctée dans le laboratoire d'une grande firme de l'agrochimie mais par des viticulteurs du Médoc (non loin de Bordeaux, d'où son nom). Depuis, la recette de base n'a pas changé : le sulfate de cuivre agit contre les champignons et la chaux empêche le cuivre de brûler la plante. L'absence de toute molécule de synthèse (c'est-à-dire n'existant pas dans la nature) permet de s'en servir sans perdre la certification bio.

 

 

 

"Les radis étaient plus petits, plus rabougris"

Mais après plus d'un siècle d'utilisation parfois massive, la bouillie bordelaise a laissé des traces sur l'environnement. "Sur une de mes parcelles, j'avais environ 4 000 m² où rien ne poussait", se souvient Laurent Cassy, exploitant d'un vignoble à Morizès (Gironde) depuis une quinzaine d'années. Quand il s'est installé, c'est en discutant avec "les anciens" qu'il a compris que cet emplacement était celui "d'un ancien bassin où on faisait de la bouillie bordelaise, et qui parfois débordait", raconte-il à franceinfo. Des analyses confirment que le sol contient du cuivre dans des proportions importantes, assez pour qu'il soit néfaste pour les plantes qui y poussent. Ce qu'il semait "poussait sur deux à cinq centimètres, et après plus rien."

 

 

Spécialiste de l'agriculture au sein du réseau d'associations France Nature Environnement, Marc Peyronnard se souvient, lui, d'un voisin maraîcher bio en Savoie, installé au début des années 2000, qui tentait de faire pousser des radis sur un terrain où, une vingtaine d'années auparavant, se trouvaient des vignes traitées avec ce mélange. "Il avait fait des lignes de radis perpendiculaires aux anciennes lignes de vignes. Et on voyait clairement les emplacements où celles-ci se trouvaient : les radis y étaient plus petits, plus rabougris", se remémore-t-il. L'effet a duré quelques années, avant de s'estomper sous l'effet de "l'amélioration du sol".

 

 

 

La carte de France du cuivre recouvre celle du vin et des vergers

Une fois que le cuivre entre dans le sol, il y reste et s'accumule. C'est son principal défaut. En métropole, certains territoires sont fortement contaminés, avec jusqu'à 508 mg/kg de cuivre retrouvés, comme le montre une carte d'un groupement de scienfiques travaillant sur les sols, le GisSol. Les teneurs les plus fortes sont relevées dans les zones où sont installés de nombreuses vignes et vergers, ce qui "résulte des traitements fongicides récurrents", explique le ministère de la Transition écologique. C'est notamment le cas de la Gironde. 

 

 

On paie un peu le poids de notre passé. Les parcelles dans lesquelles il y a le plus de cuivre sont celles qui sont cultivées depuis le plus longtemps.Fabien Teitgen, directeur technique du domaine Château Smith-Haut Lafitte à franceinfo

 

 

Les plants semés sur ces terres absorbent le cuivre par leurs racines, comme les autres nutriments présents dans le sol. Mais face à cet élément chimique, elles "vont avoir une réaction de défense", explique Marc Chovelon, responsable viticulture au sein de l'Itab, un institut de recherche sur les techniques utilisables en agriculture bio : "Elles assimilent alors moins de nutriments, et la plante va en souffrir. On constate un jaunissement des feuilles et une perte de vigueur, qui amènent à une moins bonne récolte."

 

 

Le cuivre restant principalement dans les couches superficielles du sol, il n'affecte pas tant les plantes anciennes, enracinées profondément, que les jeunes plants. "Dans un sol riche en cuivre, ils auront beaucoup de mal à se développer", acquiesce Denis Thiéry, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra). "Les plantes végètent, alors qu'on sait que les premières années de leur vie conditionnent tout. Elles resteront mauvaises, ce qui aura un effet sur leur rendement." Une problématique accentuée quand le sol dans lequel se trouve le cuivre est acide, comme c'est le cas dans la région de Bordeaux.

 

 

 

Une menace pour les vers de terre

A cela s'ajoute un deuxième effet néfaste : les dégâts que le cuivre occasionne sur la vie du sol. Délétère pour les bactéries et les champignons – après tout, c'est pour cela qu'on l'emploie sur les plantes –, il est également toxique pour les vers de terre. Son impact sur ces derniers fait l'objet de débats, et des travaux sur leur mortalité liée au cuivre ont abouti à des résultats divergents, explique l'Inra dans une synthèse sur l'usage du cuivre en agriculture biologique. Mais pour l'institut, il reste "raisonnable de penser" que la pollution au cuivre a "des effets chroniques de long terme sur la dynamique des populations de vers de terre et d'autres composantes de la faune des sols", alors que celle-ci est cruciale pour la santé des plantes et la stabilité des sols.

 

 

Mais si les effets néfastes de la bouillie bordelaise sont de plus en plus étudiés et documentés, les exemples de lieux où elle aurait causé des problèmes majeurs se font rares. "Ça fait des centaines d'années qu'il y a de la vigne en France, les zones restent les mêmes, et on arrive toujours à faire du vin", tempère Denis Thiéry, le chercheur de l'Inra.

 

 

Il faut arrêter avec l'image du sol qui serait devenu stérile, on n'en est pas là.Denis Thiéry, directeur de recherche à l'Inra à franceinfo

 

 

La plupart des dégâts qu'on peut observer sont anciens, assure Marc Chovelon. "Ce ne sont pas les applications de cuivre de ces vingt dernières années qui en sont à l'origine, affirme-t-il. Il n'y a pas de nouvelles parcelles polluées qui sont apparues depuis 2006 et la réglementation qui a fixé un seuil de 6 kg de cuivre par hectare et par an en bio", contre 8 kg auparavant. Le chercheur affirme aussi ne jamais avoir eu vent de pollutions des eaux liées au cuivre, qui reste très stable dans le sol.

 

 

 

"Le cuivre est la seule solution qui existe"

Cela n'empêche pas le débat de faire rage. En Europe, cinq Etats interdisent les pesticides au cuivre (le Danemark, la Finlande, la Grèce, les Pays-Bas et la Suède) à cause de leurs effets sur les sols, et l'hypothèse était sur la table avant le vote à Bruxelles, le 27 novembre. Finalement, c'est une baisse de la quantité maximale autorisée par an qui a été décidée : elle passera de 6 à 4 kg par hectare et par an en 2019 et cette restriction ne sera plus limitée à l'agriculture bio. Le cuivre "est persistant dans l'environnement et toxique" avait noté l'ancien ministre de l'Agriculture Stéphane Travert pour justifier le soutien de la France à cette réduction.

 

 

La transition ne sera pas facile, estiment de nombreux agriculteurs bio, qui n'ont pas droit à l'alternative des produits de synthèse. "Si on veut continuer à produire du vin bio dans des conditions acceptables, le cuivre est la seule solution qui existe", estime Sylvie Dulong, secrétaire nationale viticulture de la Fédération nationale d'agriculture biologique. Elle craint que le changement de réglementation décourage ceux qui voudraient se convertir au bio et mette en difficulté les exploitants. "Si on a cinq années de pluie en sept ans, on ne tiendra pas" en respectant les doses, calcule Fabien Teitgen du Château Smith Haut Lafitte, "ou alors on perdra des récoltes"

 

 

 

"Mettre sur mes vignes un produit que je peux boire"

Ce qui ne veut pas dire que les agriculteurs rechignent à diminuer les doses de cuivre qu'ils emploient. Celles-ci ont d'ailleurs drastiquement baissé depuis les débuts de la bouillie bordelaise. "On en mettait 50 kg/ha, aujourd'hui on est passé à 4 kg/ha", explique Rémi Vincent. Le responsable des vignobles de la Maison Jean Loron, dans le Beaujolais, date la fin de ces épandages massifs à la fin de la Seconde Guerre mondiale, "avec la pénurie de cuivre qui a suivi et l'avènement des produits de synthèse". Aujourd'hui, une année normale, sans épidémie importante de mildiou, Rémi Vincent utilise à peine 1 kg de cuivre par hectare, bien en dessous du seuil réglementaire, aidé par "l'évolution des matériels d'application, qui ont gagné en précision". En revanche, s'il était installé dans une région au climat plus favorable au mildiou, il estime qu'il serait "limite" pour respecter la nouvelle réglementation.

 

 

Benoît Braujou, lui, va beaucoup plus loin. Dans son domaine, celui de Fons Sanatis, dans l'Hérault, il n'emploie pas de pesticides de synthèse mais fait aussi tout son possible pour ne pas utiliser de cuivre. Lui non plus n'a jamais constaté que ses vignes souffraient du cuivre dans les sols. Mais il n'appréciait pas de répandre un métal lourd sur ses plants. 

 

 

Ça me fait vraiment plaisir de traiter mes vignes sans avoir à mettre un masque et une combinaison de cosmonautes.Benoît Braujou, viticulteur à franceinfo

 

 

Il se réjouit désormais de mettre sur ses vignes "un produit [qu'il peut] boire". En l'occurrence, un mélange d'extrait de citrus et de lait caillé de chèvre, qu'il récupère chez l'éleveur voisin, et qui ne sert pas à tuer les champignons mais à fortifier naturellement la plante. Installé dans une région "où il n'y a pas une grosse pression du mildiou", il assure qu'il n'a jamais eu à transiger avec ses principes avant l'été dernier, où il a tout de même dû répandre 200 g de cuivre par hectare, pour faire face à une présence de mildiou exceptionnellement importante.

 

 

 

Des alternatives encore à l'étude

Ce puriste reconnaît lui-même que sa solution ne marcherait pas pour tout le monde, notamment ses "amis qui ont 40 salariés et sont obligés de garantir un minimum de volume" pour être rentables. Mais il illustre le fait que des alternatives sont à l'étude. Certains extraits de plantes – comme les prêles ou les orties –, mais aussi la chitine, une molécule que l'on trouve dans la carapace des crustacés, permettent de stimuler les défenses naturelles des vignes et des arbres. D'autres plantes, comme le yucca, ont des propriétés fongicides, "mais pas avec la même efficacité que le cuivre", nuance Marc Chovelon.

 

 

Philippe Sfiligoï, arboriculteur bio qui produit des pommes, des poires et des prunes dans le Lot-et-Garonne, s'intéresse aussi à "des variétés d'arbres résistantes à ces champignons", même si cette solution prendra du temps "parce qu'il faut replanter et expliquer au consommateur ce que sont ces nouvelles variétés". C'est la limite de cette solution en viticulture, où les cépages de vignes résistants au mildiou ne sont pas compatibles avec les appellations locales.

 

 

Reste enfin l'option de retirer le cuivre du sol. Une quinzaine de vignobles, dont le Château Smith Haut Lafitte et la Maison Jean Loron, testent actuellement des plantes capables de capter le métal. "Sur la première année, on enregistrait une diminution de 20% du cuivre dans le sol" sur la parcelle concernée, explique Rémi Vincent de la Maison Jean Loron, et ce "alors que les semis n'avaient pas bien fonctionné". A terme, il espère même planter ces végétaux miracles entre ses plants de vignes, plutôt que sur des parcelles vides, pour capter le cuivre dès qu'il est répandu. Il espère que ces plantes, une fois récoltées, pourront servir d'ingrédient à un fongicide au cuivre qu'il fabriquerait lui-même. Un système circulaire qui permettrait peut-être à ce vigneron de pouvoir, enfin, se passer de la bouillie bordelaise.

 



30/01/2019
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