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L'AIR DU TEMPS

Franceinfo - le lundi 23 avril 2018

 

 

ENQUETE FRANCEINFO. Les couples homosexuels ont le droit d'adopter, mais le peuvent-ils vraiment ?

 

 

"Votre seul défaut, c'est d'être deux hommes", entendent-ils souvent. Légale depuis cinq ans pour les couples mariés de même sexe, l'adoption est encore pour eux un parcours du combattant. En plus des obstacles classiques de la démarche, ils voient aussi plusieurs portes se fermer, justement du fait de leur homosexualité

 

 

 

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Un couple d'hommes avec un bébé à Paris, en octobre 2017.  (MAXPPP)

 

 

Depuis qu'il est adulte, Jean-Marc* se voit papa. Il s'imagine avec son mari jouer au square avec leur enfant, l'emmener au cinéma et partir avec lui en vacances. Il y a cinq ans jour pour jour, le couple a eu un déclic. Ce 23 avril 2013, le Parlement a adopté définitivement la loi Taubira ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de même sexe. Avoir un enfant ? Depuis cet instant, "on en parle vraiment", relate Jean-Marc, en couple depuis plus de quinze ans avec son compagnon. 

 

 

Dossier motivé, série d'entretiens avec une assistante sociale, une psychologue et une psychiatre... Depuis octobre 2016, le couple suit les étapes classiques d'une démarche d'adoption et est accueilli avec "beaucoup de bienveillance". "Aucune difficulté jusqu'à présent", résume Jean-Marc. Le trentenaire se souvient néanmoins d'une phrase prononcée par sa psychiatre : "Vous avez un dossier parfait. Vous ferez de merveilleux parents. Votre seul défaut, c'est que vous êtes deux hommes. La société n'est pas prête."

 

 

Cinq ans après le vote de la loi Taubira, l'accès à l'adoption – en général déjà très long, et incertain – semble encore plus ardu pour les couples d'hommes ou de femmes. Aucune statistique précise n'est disponible. Depuis 2013, plusieurs centaines, voire milliers, de personnes de même sexe, ont certes pu adopter l'enfant de leur conjoint, selon les spécialistes du sujet. Mais d'après Alexandre Urwicz, président de l'Association des familles homoparentales (ADFH), à peine "quelques familles" ont pu accueillir dans leur foyer un enfant pupille de l'Etat et "moins de dix" un enfant né à l'étranger.

 

 

Des conseils de famille réticents

 

Pour Julien*, ingénieur informatique, et son mari, l'attente dure depuis près de trois ans. Ce couple, marié peu après l'adoption de la loi Taubira, a bien reçu l'agrément pour adopter un pupille de l'Etat. Mais depuis 2015, rien n'avance. Leur dossier a été présenté une première fois à un conseil de famille des pupilles de l'Etat. Cette commission, qui réunit des conseillers départementaux, des membres d'associations familiales et de pupilles de l'Etat, mais aussi des professionnels de la protection de l'enfance, décide de l'adoption de ces enfants. Le projet du couple a été rejeté.

 

 

"Je savais que ce serait long", tempère Julien. Un cousin hétérosexuel a adopté, cela a pris quatre ans." Pour tout couple, qu'il soit homosexuel ou hétérosexuel, l'adoption est un long cheminement : en moyenne, toute demande met cinq ans à aboutir dans le cas des pupilles de l'Etat. L'ingénieur se veut tout de même optimiste. Mais les assistantes sociales l'accompagnant le sont beaucoup moins. "Elles nous expliquent que les conseils de famille sont assez conservateurs, relate le trentenaire parisien. Dans de nombreux cas, ils vont privilégier des dossiers de couples hommes-femmes."

 

 

D'autres témoignages recueillis par franceinfo confirment ces réticences. Michel* et Edouard*, dans une démarche d'adoption depuis un an, ont ainsi entendu le même genre de propos lors d'une réunion d'information dans le Nord. 

 

 

À un moment, un couple homosexuel a demandé comment le conseil de famille décidait de l'attribution d'un enfant. L'une de ses membres nous a répondu qu'il privilégiait les familles 'traditionnelles'. Michel, en procédure d'adoption à franceinfo

 

 

Samuel* et son mari, en pleine démarche d'adoption dans le Finistère, ont, eux, été prévenus par l'assistante sociale et le psychologue. "Ils nous l'ont dit de façon très libérée, confie Samuel. Le conseil de famille n'accorde jamais d'adoption aux couples homosexuels. Il refuse toutes leurs candidatures." Joint par franceinfo, un membre de l'équipe départementale chargée des adoptions, souhaitant rester anonyme, confirme ces refus. En cinq ans, il a présenté "une quinzaine" de dossiers de couples de même sexe pour l'adoption d'un pupille de l'Etat. Aucun n'a été retenu.

 

 

Ils n'étudient même pas les dossiers de couples homosexuels. A chaque fois, il faut un papa et une maman. Ils veulent donner 'une bonne famille' à l'enfant.Un membre de l'équipe chargée de l'adoption dans le Finistère à franceinfo

 

 

André, représentant d'une association dans ce conseil de famille, assure que son groupe n'a pas de réticences envers l'homoparentalité. Il "respecte" simplement "l'ordre d'arrivée des dossiers". Selon lui, les demandes de couples homosexuels ne seraient "pas éligibles actuellement", car trop récentes. D'une voix calme, l'associatif reconnaît néanmoins que "quand le mariage pour tous a été adopté, des parents ont quitté notre association". Ils refusaient, par principe, l'idée d'une adoption par un couple de même sexe. 

 

 

"Tant qu’on aura des couples (...) avec un père et une mère, on les privilégiera"

 

Alerté par plusieurs couples, Nicolas Faget, porte-parole de l'Association des parents gays et lesbiens (APGL), dénonce "une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle" dans plusieurs départements.

 

 

L'Unaf, l'Union nationale des associations familiales, était "majoritairement opposée" au mariage pour tous et "majoritairement défavorable à l'accès à l'adoption pour les couples de même sexe" au moment du débat sur la loi Taubira. Elle est toujours impliquée dans le processus d'adoption aujourd'hui, car chaque conseil de famille compte au moins un représentant proposé par l'Udaf, l'union départementale. Malgré son opposition de l'époque, il n'y a "pas de mot d'ordre" pour privilégier des couples hétérosexuels, assure aujourd'hui l'Unaf : elle dit n'avoir aucune information sur d'éventuelles discriminations. Elle évoque juste une "tension extrêmement forte", en raison du nombre très important de candidatures, notamment depuis 2013.

 

 

Contacté par franceinfo, Jean-Marie Muller, président du conseil d'administration de la Fnadepape, une fédération regroupant des membres de conseils de famille de pupilles de l'Etat, répond sans filtre. "Les conseils de famille sont libres de leur choix et n'ont pas à le justifier", défend ce responsable, administrateur en Lorraine.

 

 

Quand nous pouvons présenter à l'adoption un jeune couple père-mère, c'est le choix que les conseils de famille font. Sur l'ensemble du territoire.Jean-Marie Muller, président du conseil d'administration de la Fnadepapeà franceinfo

 

 

"Tant qu'on aura des couples jeunes, stables, avec un père et une mère, on les privilégiera", assurait-il déjà à l'AFP. "Ce discours est insupportable", réagit, indigné, Alexandre Urwicz. Interpellé par ces propos, le président de l'ADFH annonce à franceinfo qu'il "réfléchit à une action judiciaire".

 

 

Sollicité par franceinfo, le ministère de la Justice explique lui qu'il "n'a pas connaissance de difficultés" de ce genre. "Cela ne veut pas dire que ça n'existe pas. Nous sommes assez mal équipés pour le voir", reconnaît le ministère. Une enquête sur l'adoption en France, lancée récemment par les pouvoirs publics, sera rendue publique en 2019. "Avec cela, nous pourrons voir si un traitement différencié existe", assure le ministère de la Justice. 

 

 

A l'étranger, des voies très restreintes

 

En plus de la France, Samuel et son mari comptent se tourner en parallèle vers une démarche à l'international. Là aussi, de nombreuses embûches devraient les attendre. Pour commencer, le nombre d'adoptions internationales a baissé drastiquement ces dernières années : seulement 685 en 2017. Et seuls quatre pays, et quelques régions d'autres Etats, sont aujourd'hui susceptibles d'accepter une demande de la part d'un couple homosexuel, selon le recensement communiqué par l'Agence française de l'adoption (AFA) à franceinfo. Il s'agit de la Colombie, de l'Etat de Mexico (Mexique) et de certains Etats des Etats-Unis, de l'Afrique du Sud, du Brésil et du Portugal. Les autres assument leurs refus. La Russie, le Kazakhstan, la Bulgarie ou encore Haïti précisent même explicitement que "seuls les couples mariés hétérosexuels" seront considérés.

 

 

Avec son mari, Jean-Marc* a visé en priorité le Brésil et l'Afrique du Sud. Mais pour le premier pays, un obstacle immédiat s'est présenté. "Comme notre agrément est pour un enfant de 0 à 6 ans, ça ne passe pas", regrette Jean-Marc. Au Brésil, "les enfants proposés seuls sont généralement âgés de 9 ans au moins", précise le Quai d'Orsay.

 

 

Les pays sont limités et les associations qui vous accompagnent sont très limitées. Jean-Marc*à franceinfo

 

 

Médecins du Monde, l'un des rares organismes permettant aux couples homosexuels d'adopter à l'étranger, arrête ainsi son activité d'adoption. Pour tenter leur chance en Afrique du Sud, le trentenaire et son mari se sont rapprochés de l'association Chemin vers l'enfant, située à Chinon (Indre-et-Loire). Là aussi, la porte s'est vite fermée. Sous le poids de nombreux dossiers en attente, elle refuse toute nouvelle candidature. "C'est la seule association qui le proposait. Pour nous, l'Afrique du Sud, c'est fichu." 

 

 

Une "chance résiduelle"

 

Cinq ans après la bataille pour le mariage et l'adoption pour tous, "le droit est là, mais on ne s'est pas donné les moyens de l'appliquer", résume Dominique Boren, coprésident de l'APGL. "Si vous êtes un couple d'homosexuels, vous avez une chance résiduelle pour que votre adoption aboutisse." 

 

 

L'adoption est de plus en plus considérée comme une voie de garage. Elle décourage tellement nos adhérents qu'ils se tournent aujourd'hui vers la PMA et la GPA à l'étranger.Nicolas Faget, porte-parole de l'APGL à franceinfo

 

 

Jean-Marc s'y refuse. Mais à l'aube de ses 40 ans, il confie qu'il ne peut plus "attendre trop longtemps" pour avoir un enfant. Cet homme désire être père depuis ses 18 ans. "On est dans l'impatience. [En cas d'échec], je ne sais pas si j'aurai le courage de tout recommencer", souffle-t-il avec sincérité. Les paroles prononcées par sa psychiatre ont, malgré tout, résonné. "Être amoureux d'un homme, c'est la seule chose que je ne peux pas changer dans mon dossier", lâche-t-il. "Je veux juste avoir les mêmes chances que tout le monde. La société n'est pas prête, mais moi je suis prêt." 

 

 

*Les prénoms de ces personnes ont été modifiés à leur demande, afin de ne pas porter atteinte à leurs démarches d'adoption. 

 



15/05/2018
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