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L'AIR DU TEMPS

Franceinfo - le lundi 6 novembre 2017

 

 

Ouverture de la PMA à toutes les femmes : y a-t-il un risque de pénurie de sperme en France ?

 

Des spécialistes de la médecine de la reproduction pointent le manque actuel de dons de spermatozoïdes, qui entraîne des délais importants pour les couples hétérosexuels en attente d'assistance médicale à la procréation

 

 

 

dans une clinique parisienne, le 7 octobre 2010.  (MELANIE FREY / SIPA)

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Vincent DanielFrance Télévisions

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L'ouverture à toutes les femmes de la procréation médicalement assistée (PMA) va-t-elle entraîner une pénurie des dons de spermatozoïdes ? La question est posée par les spécialistes français de la reproduction. Des états généraux de la bioéthique, prévus "à la fin 2018", seront le préambule d'une révision des lois de bioéthique qui devrait – notamment – autoriser la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes. 

>> Cinq questions sur la PMA, que le gouvernement veut généraliser

Parmi les problématiques qui devront être abordées, celle de la gestion des dons de sperme par les Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cecos). Nathalie Rives, présidente de la Fédération des Cecos, estime que l'ouverture de la PMA pourrait entraîner une "insuffisance" des dons. 

 

 

Actuellement, seuls les couples hétérosexuels en âge de procréer peuvent avoir recours à une PMA lorsqu'ils font face "à une infertilité médicalement constatée" ou "pour éviter la transmission d’une maladie grave à l’enfant ou à l’un des membres du couple", explique l'Agence de la biomédecine. L'Assurance maladie prend en charge la PMA à 100%, à condition que la femme n'ait pas dépassé 43 ans. Après acceptation de leur dossier, les couples ayant besoin d'un don de gamètes (ovocytes ou spermatozoïdes) sont inscrits sur une liste d'attente. En 2015, près de 3 500 couples ont demandé à bénéficier d’un don (il faut deux ans pour obtenir des chiffres fiables).

 

 

Des délais d'attente "déjà trop longs"

Problème : les Cecos font déjà face à une carence de dons de spermatozoïdes. "Actuellement, le délai d'attente pour les couples infertiles est de l'ordre de 12 à 15 mois avant de pouvoir bénéficier d'un don", indique à franceinfo le professeur Fabrice Guerif, chef du service de médecine et de biologie de la reproduction au CHRU de Tours (Indre-et-Loire). Dans certains Cecos, ce délai peut atteindre jusqu'à deux ans. 

"Cela coince déjà aujourd'hui, confirme à franceinfo Virginie Rio, fondatrice du collectif BAMP, association de patients de l'assistance médicale à la procréation et de personnes infertiles. Les délais d'attente sont beaucoup trop longs." Cet interminable parcours actuellement imposé aux couples ne "relève que de la gestion de la pénurie de dons", souligne-t-elle. Si le collectif BAMP est favorable à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, sa représentante redoute une "absence d'anticipation"

Si rien ne change, tout le système va se bloquer, les délais vont exploser. Par ailleurs, il existe aussi un risque de discrimination entre les couples infertiles, les couples de femmes et les femmes seules.

Virginie Rio, fondatrice du collectif BAMP

à franceinfo

Le professeur Fabrice Guerif alerte aussi sur un "risque indirect" lié à l'augmentation du délai d'attente pour des dons : "Un âge au moment de la conception repoussé avec des conséquences sur les chances de grossesse."

Une communication "ringarde"

En 2015, 255 hommes ont donné des spermatozoïdes (contre 238 en 2014). Une démarche volontaire, anonyme et gratuite. Pour donner, il faut avoir entre 18 et 45 ans et être en bonne santé. Et si jusqu'en 2015, il fallait avoir eu au moins un enfant auparavant, ce n'est plus le cas depuis. Comment expliquer ce manque chronique de donneurs de spermatozoïdes ? "Ce n'est pas un don qui revêt un caractère vital comme le don d'organe, répond Fabrice Guerif. Et même si les mentalités changent, c'est un don un peu tabou qui touche à l'intime."

"Il n'y a pas suffisamment de communication autour du don de sperme", déplore également la professeure Nathalie Rives, qui exerce au CHU de Rouen (Seine-Maritime). L'Agence de la biomédecine, chargée de faire connaître cette démarche, reconnaît elle-même un "déficit de notoriété". La dernière campagne d'information publique à ce sujet remonte à 2015. Son slogan : "Faites un cadeau tout petit pour un bonheur très grand." Elle est notamment accompagnée d'un test en ligne intitulé "quel donneur de bonheur êtes-vous ?", avec des questions telles que "aimez-vous offrir des cadeaux, des fleurs, des chocolats ?" ou "aimez-vous rendre service à votre entourage ?"

"Quand on a vu cette campagne, on s'est dit 'Au secours !'", témoigne la fondatrice du collectif BAMP. Et Virginie Rio s'agace : "Il faut sortir de ce truc ringard et affligeant, le bleu, le rose... Il faut des campagnes qui osent vraiment, il y a une révolution culturelle à faire !" Une nouvelle campagne pour inciter au don sera déclinée sur différents supports au cours du mois de novembre. La présidente de la Fédération des Cecos appelle, elle aussi, à une "communication adéquate" autour de ce don en cas d'ouverture de la PMA à toutes les femmes. "Peut-être assistera-t-on à une surprise, cela pourrait susciter un mouvement de solidarité envers les femmes", espère Nathalie Rives.

Un défraiement ou une rémunération, comme c'est le cas aux Etats-Unis, pourraient-ils inciter d'éventuels donneurs ? Pour le moment, un changement de "l'esprit du don et de sa gratuité" n'est pas à l'ordre du jour, explique le professeur Fabrice Guerif. "On entrerait dans un système de marchandisation du corps avec un risque de dérives et de surenchère de la part d'instituts privés qui s'engouffreraient dans la brèche", redoute-t-il. 

"La future demande est difficilement estimable" 

Pour la présidente de la Fédération des Cecos, le risque de pénurie de spermatozoïdes "est important, mais ce n'est pas le point le plus essentiel". Car, selon la professeure Nathalie Rives, l'extension du droit à la PMA, à laquelle elle est favorable, "soulève beaucoup d'interrogations sur les modalités de prise en charge de toutes les demandes, infertilité ou non, sans pénaliser personne". Elle attend notamment "des moyens financiers suffisants" pour les Cecos.

Une loi qui ouvre la PMA à de nouveaux bénéficiaires ne suffira pas si on n'est pas en mesure de les accueillir ou de les satisfaire.

Nathalie Rives, présidente de la Fédération des Cecos

à franceinfo

"La future demande est difficilement estimable", ajoute Nathalie Rives. L'impact sur le fonctionnement des Cecos fait donc actuellement l'objet de réflexions. Le professeur Fabrice Guerif espère de son côté que les forums citoyens organisés par le Comité consultatif national d'éthique en amont de la révision des lois de bioéthique "seront l'occasion de débattre sereinement et d'aborder tous ces aspects pour que l'évolution de la PMA puisse se faire dans l'intérêt de tous".

"En France, il y a un côté 'à la tête du client'" 

En attendant cette évolution du droit, Virginie Rio, du collectif BAMP, reste persuadée que les couples de femmes "qui en ont les moyens continueront d'aller faire leur PMA en Espagne", considérée comme "l'eldorado de la PMA". Moyennant plusieurs milliers d'euros, des cliniques privées permettent aux femmes seules ou en couple (hétérosexuel ou homosexuel) d'avoir accès à la PMA. Le plus souvent avec un service personnalisé (en français, avec des prestations qui incluent hôtel, guide de la ville...) et l'assurance de voir sa demande traitée en temps et en heure. 

"Quand les couples de femmes qui ont déjà fait des PMA à l'étranger vont découvrir le niveau d'accueil, d'accompagnement et de prise en charge médicale dans les Cecos, elles vont halluciner... souffle Virginie Rio. En France, de façon opaque, on vous dit que vous aurez votre don maintenant, dans deux mois, dans six mois ou plus... Il y a un côté 'à la tête du client'. Et si vous avez le malheur de montrer que vous doutez, ce qui paraît normal dans ce parcours, vous repartez pour des rendez-vous psychologiques."



17/11/2017
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